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Comment les parents endeuillés servent de prétexte pour museler les mères en galère (mais ne sont pas plus entendus qu’elles).


Dernièrement sur instagram, je racontais une histoire qui m’est arrivée il y’a longtemps: celle de deux femmes, l’une handicapée, l’autre enceinte, en train de se bagarrer dans un bus pour savoir à qui la dernière place prioritaire revenait de plein droit, sans que personne, parmi les personnes valides tout autour, ne se lève pour céder la sienne.

Et si cette histoire m’a longtemps semblé emblématique de la solitude des « invalides » (ceux que la société refuse de voir – personnes âgées, femmes enceintes, porteurs de handicaps visibles ou invisibles), je me suis longtemps demandé « pourquoi? ».

Parce qu’en maternité, c’est un fait: les jeunes mères qui galèrent ne sont pas forcément super solidaires entre elles.

Les personnes avec lesquelles j’ai parfois le plus de mal à échanger, sur instagram, sont celles qui ne connaissent pas non plus une maternité épanouie (mais différemment de moi). Certains posts sur mon compte Instagram ont  d’ailleurs pu soulever des commentaires parfois peu bienveillants de femmes en DPP (dépression post-partum) vis à vis de mamans endeuillées (au point, à chaque fois, d’intervenir pour recadrer et fermer les commentaires alors que ma communauté est grosso modo plutôt une communauté de bisounours). Je crois que cela me dérangeait de voir que certaines mères nous perçoivent parfois comme une sorte d’ennemies de l’ombre: puisque ce qui nous est arrivé est le « pire » qui puisse arriver à une maman (la mort du bébé ou de l’enfant), j’ai parfois eu l’impression que notre parole pouvait donner l’impression à certaines qu’elles n’avaient plus le droit de parler. Et donc, de nous en vouloir.


Et puis, à la faveur d’un post d’Ilana Weizmann, je me suis interrogée sur cette question: à qui la faute?


Pouvons-nous blâmer les femmes qui vivent mal leur maternité naissante, qui regrettent parfois, qui vivent une DPP, puisque la société leur renvoie en permanence ce message: « de quoi tu te plains? Ton bébé va bien! ». Sous entendu: les seules qui peuvent se plaindre, ce sont celles dont le bébé est mort, en soins intensifs, porteurs d’une maladie grave ou d’un handicap. Avec sans doute pour certaines de ces femmes la croyance suivante: « au moins, les autres peuvent parler ». (Spoiler: non).


A nous, qui avons perdu un bébé, on nous oppose justement que nous n’avons pas vraiment perdu un bébé, seulement un amas de cellules (oui, même à 38 semaines d’aménorrhées), d’ailleurs ce que nous avons vécu, ce n’était pas un vrai accouchement, et puis peut-être bien que nous l’avons cherché à trop nous plaindre pendant la grossesse (le bébé l’aura senti et aura donc préféré mourir). Bref, prière de laisser les autres mères, les véritables mères, exister tranquillement parce que nous au moins, on a pas de bébé pour nous réveiller la nuit et donc tout va bien dans le meilleur des mondes, votre post-partum ne sera qu’une formalité madame. Les autres en chient plus que vous.


Vous la sentez l’arnaque? Nous nous servons mutuellement d’épouvantails.


C’est pas de notre faute à nous, les mères. Plutôt celle de la société dans son ensemble qui, dans le fond, refuse d’entendre que la maternité parfois, ça ne se passe pas aussi bien que prévu, et que non, les femmes ne sont pas toujours épanouies dans leur nouveau rôle. On a beau nous prévenir, à force de « tu enfanteras dans la douleur », personne ne nous prépare réellement aux difficultés de la grossesse, ni au post-partum et aux suites de couches. Encore moins au deuil périnatal.
Ce n’est sans doute pas une mauvaise chose, en soi: ces informations sont hautement anxiogènes, et vivre sa grossesse en enchaînant les crises de panique n’est pas non plus souhaitable (n’importe quelle maman en train de vivre une « grossesse d’après » vous le confirmera: ces 9 mois sont un mélange d’espoir et de cauchemar éveillé quotidien).


Le problème, c’est qu’une fois confrontées à tout ça – le deuil périnatal, le post-partum, la dépression, une fois qu’on ne peut plus y échapper, eh bien l’entourage continue de taire, de minimiser, voire de nier.
Et comment balayer les problèmes sous le tapis? En renvoyant la balle à l’autre, en comparant.
« Elle, c’est pire que toi, parce que… ». 


Avantage: la jeune maman, qu’elle soit endeuillée ou en difficulté, ne peut que se taire. Bonus: aucun risque de concrétiser une quelconque alliance entre mères en galère. L’ennemi, ce n’est plus le silence, ni même le patriarcat qui a permis l’installation de ce silence (après tout, ce ne sont que des histoires de bonnes femmes, n’est-ce pas?). L’ennemie, c’est l’autre, celle qui galère aussi et qui risque de nous piquer toute la couverture, nous qui avons si froid.


Alors, comment on fait pour apaiser les relations et retrouver un semblant de solidarité entre parents?
Déjà, en arrêtant de comparer ce qui ne peut pas l’être. Une dépression post-partum n’est pas un deuil périnatal. Les problématiques sont radicalement différentes, vouloir les opposer n’a aucun sens. Alors oui, dans le cas d’une DPP, le bébé est encore une vie, et oui, une DPP se soigne (Dieu merci). Mais le suicide reste la deuxième cause de mortalité des mères dans la première année de vie de leur enfant, minimiser me semble plus que stupide- cela me semble dangereux.


Ensuite, en acceptant que nous avons toutes – je dis bien toutes – besoin d’espaces de paroles dédiés. Non, les commentaires de femmes en DPP sous certains de mes posts n’étaient pas forcément les bienvenus. Vous voulez savoir pourquoi? Parce que mon compte est un espace dédié au deuil périnatal, une safe place. Oui, cela peut sembler indécent de voir des femmes dont le bébé est en vie venir exprimer leur souffrance à celles qui n’ont plus le leur. C’est exactement comme si nous venions faire la morale sous les posts consacrés à la dépression post-partum. Mais, si nos expériences sont différentes, elles n’en sont pas moins chacune valides. Laissons donc un espace pour chacune.


Enfin, en étant plus solidaires. Se laisser de l’espace ne signifie pas s’ignorer poliment. C’est accepter que nous adressons chacune des problématiques spécifiques. Mais ne perdons pas de vue le principal: notre combat pour briser les tabous autour de la maternité. Nous sommes toutes victimes du même silence assourdissant qui entoure les femmes qui ne connaissent pas une maternité féconde et épanouie. Toutes. Sans compter qu’une femme en dépression post-partum peut en venir à perdre son bébé (une MIN, une autre grossesse); et que le deuil périnatal est un facteur agravant de dépression post-partum. Bref, celle que nous sommes à un instant T peut échanger de rôle avec une autre l’année d’après.

Cet article a 3 commentaires

  1. Kaz

    Je comprends bien cet article, et surtout la nécessité de l’écrire, d’écrire sur ce sujet. Les mères, endeuillées ou non, doivent juste fermer leur bouche : l’intérieur, le foyer, les enfants, c’est un truc de bonne femme comme tu l’écris, donc ce n’est pas un vrai problème. C’est épuisant de devoir se battre partout, tout le temps… tu allaites alors qu’il a 3 ans ? Mauvaise mère. Tu donnes le biberon ? Mauvaise mère. Tu cherches à retomber enceinte juste après une FC ? C’est que tu ne souffres pas, mauvaise mère. Tu sombres dans la dépression juste après une FC ? Ce n’était qu’un tas de cellules, mauvaise mère. Et on est toutes, tout le temps, perdantes.

    Là où ça coince un peu, à mon sens, c’est quand on cumule deuil périnatal ET DPP pour l’enfant (ou les enfants) d’après. Parce que là, pour le coup, on n’a plus d’espace. Enfin c’est mon ressenti en tout cas, ou « juste » pour la DPP – les ressources existent, heureusement ! Pour la communauté des parents endeuillés, c’est plus compliqué… combien de fois j’ai lu « elles ont fait des enfants pour quoi ? » (lu d’ailleurs en commentaire sur ton post Insta, merci d’avoir mis le lien, je n’ai pas de compte !), « elles se plaignent trop, leurs mots sont trop forts… ». Je l’entends, et je l’ai vécu. Mais sans être aussi sévère envers les femmes qui ont la chance (car c’est la chance la plus immense du monde, on se comprend) d’avoir leur(s) enfant(s) auprès d’elles. Ça fait aussi du tort à celles qui vivent un enfant arc-en-ciel : d’un coup, je n’avais plus le droit de me plaindre, jamais ! Et j’ai tiré sur la corde, tiré, tiré… jusqu’à ce que la DPP me revienne en pleine tête.

    Donc oui, MILLE FOIS OUI, pour plus de solidarité entre toutes les femmes, celles qui ont des enfants (avec une place restée vide à Noël…), celles qui n’en ont pas encore et qui attendent et espèrent, celles qui ont tous leurs enfants auprès d’elles et qui galèrent, celles qui n’en ont pas et qui subissent des jugements de la part de la société… bref, nous toutes. Merci Julie.

    1. Julie

      Comme je comprends… dans une moindre mesure, je déteste être enceinte. Lors de ma deuxième grossesse (la seule qui se soit bien terminée), quand on pensait encore que mon IMG n’avait été qu’un accident de parcours, je ne pouvais pas me plaindre. A chaque fois que je prenais la parole pour expliquer que mon hyperémèse me pourrissait la vie, que je n’aimais pas ma grossesse, à chaque fois, on m’opposait un « oui mais c’est bien d’être enceinte ». Oui, effectivement, surtout après ce que nous avions vécu, mais impossible de parler de ce que je vivais. Ce qui est absurde parce que je suis convaincue que le deuil périnatal aggrave les dépressions pré et post natales, pour moi cela tombe sous le sens. Il faut inclure les parents endeuillés dans les discussions autour du pré et du post partum, et leur permettre de dire leur mal être. <3

  2. Kaz

    Et la fameuse petite phrase « la grossesse n’est pas une maladie ! »… quel bonheur de l’entendre celle-ci ! Bref, on n’est pas sorties des ronces <3

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