Ça a commencé tout doucement par un sentiment de ras-le-bol : celui de lire, tous les jours et à toute heure, des commentaires ou remarques qui me semblaient constamment à côté de la plaque, jugeantes, voire carrément médisantes. Celui de côtoyer virtuellement des gens avec lesquels, finalement, je n’avais pas ou plus grand-chose à partager. Celui aussi de me voir « imposer » le point de vue totalement hallucinant d’arrogance ou d’ignorance de personnes que je n’avais parfois même jamais rencontrées en vrai.
Au début, je n’ai pas vraiment su mettre les mots sur ce qui me prenait à la gorge, à chaque fois que je me connectais sur mes profils perso. Facebook, Instagram, LinkedIn étaient devenus aussi importants dans ma vie que de prendre mon petit-déjeuner ou de faire un câlin à ma fille.
Alors quand la boule a commencé à se former, dans ma gorge, chaque fois que je cliquais sur la petite icône bleue de mon téléphone, j’ai mis ça sur le compte du confinement, de mes problèmes personnels, sur le manque de perspectives lié au Covid.
Et puis il y’a eu l’incident de trop, et j’ai ouvert les yeux.
Je me faisais la réflexion dernièrement que je ne m’imposerais pas cela dans la vraie vie – je veux dire, si un collègue de boulot se permettait de comparer ma religion à un délit ou à une faute, si ma boulangère commençait à m’expliquer tranquillou bilou que toute opinion, même raciste, vaut d’être entendue au nom de la liberté d’expression, si ma voisine m’expliquait sans ciller que ses gamins lui donnent envie de mourir alors que je suis sous anti dépresseurs, soyons bien clairs : j’aurais envoyé bouler, j’aurais posé mes limites, j’aurais dit non, avec plus ou moins de bienveillance selon mon interlocuteur.
Parce que ça – ce type de propos, balancés par n’importe qui, à n’importe quel moment, ça n’a tellement aucun sens que c’en est parfaitement maltraitant.
Mais des mois passés à n’interagir presque que de façon virtuelle en raison du Covid avaient fini par m’aveugler sur la violence que j’étais capable d’encaisser, au quotidien, sans broncher, parfois de la part de parfaits inconnus.
Le mur a commencé à se fissurer il y’a plusieurs semaines : il y’a eu le commentaire d’une cousine éloignée sous un post parlant du livre de Flavie Flament, « La Consolation » (que je vous recommande, au passage) alors que je me prépare à porter plainte contre X pour violences subies pendant l’enfance. Vous vous demandez encore pourquoi les anciennes victimes sont trop peu nombreuses à dénoncer leur agresseur? Allez lire les comptes Facebook de leurs proches, vous comprendrez malheureusement un peu trop rapidement.
Il y’a aussi eu toutes ces personnes pour venir me parler de leurs grossesses malgré de trop nombreuses supplications de ne rien en faire, compte tenu de la mort de plusieurs de mes bébés in utero. Alors ça n’est pas de leur faute : la trentaine, c’est pile le moment où tu fondes ta famille, donc rien à faire, je ne peux pas y échapper. Mais, si je ne peux pas ne pas me réjouir pour les femmes enceintes de mon entourage (traumatisée: oui, aigrie: non), je peux néanmoins ne pas m’exposer plus que de raison. Et oser dire qu’on ne se sent pas capable de participer à telle ou telle discussion, ce n’est pas de la jalousie: c’est tout simplement faire preuve de respect vis-à-vis de soi en posant ses limites. Parce que moi, quand vous me parlez d’échographies, je vois littéralement jaillir devant mes yeux mes bébés morts in utero, et c’est une violence si insoutenable que personne ne peut réellement le comprendre, en vrai, en dehors de celles qui ont vécu un trauma similaire.
Alors j’en ai eu assez, et j’ai commencé à couper.
J’ai commencé par LinkedIn. Ca m’a prise sans prévenir, un jour, comme ça : je me connecte et je vois immédiatement apparaitre dans mon fil d’actualité le post d’une femme que je n’ai jamais rencontrée et qui se fait littéralement refaire le portrait dans les commentaires par une bande de parfaits inconnus. La dame avait visiblement comme gros défaut d’être chroniqueuse dans les médias, et c’est bien connu, hein : quand on passe à la télé, on mérite qu’on s’en prenne à vous de façon totalement random ? (Non).
Bim : supprimé, le profil qui me permettait pourtant de suivre les actualités de mon entreprise. Adios LinkedIn et ta cohorte de Chief Bullshiter Officer, de grands dépressifs qui essaient de se donner de grands airs qu’ils n’ont pas. 5 ans sur ce réseau social, pas une offre d’emploi, mis beaucoup trop de vent et de négativité. Sans regrets.
Et puis Facebook : après les commentaires de la cousine, il y’a eu la discussion de trop, d’une personne de trop, pour venir m’expliquer que les problèmes, ça ne se hiérarchise pas, moi qui suis si investie auprès de femmes traumatisées par le décès de leur bébé – moi qui suis également une multi traumatisée. Alors si, justement: les problèmes se priorisent, avec un minimum de bienveillance, et oser dire que tous les problèmes se valent, c’est faire preuve de maltraitance. Mais, si je n’ai pas le pouvoir d’ouvrir les yeux des gens, j’ai celui de me protéger. On coupe.
On en est où ?
Eh bien je n’ai pas disparu des réseaux sociaux, puisque à nos étoiles me consomme toujours beaucoup de temps, mais je sais pourquoi je suis sur instagram, et ce que j’y fais. Mais je coupe désormais : les commentaires des rageux. Des gens qui ne savent pas quoi faire d’eux ni de leur vie. Des envieux. Des largués, des pas informés, des pas sensibilisés mais qui refusent de l’être, des pas très aguerris, des « trop francs » qui se permettent de nous donner leur opinion sans qu’on ne leur ai rien demandé, et qu’importe si la personne à qui l’on s’adresse finit en miettes. J’ai fini par saturer des gens qui s’épient, qui s’envient, qui se détestent sans même se connaitre.
Le bonheur des gens ne me rend pas malheureuse, il me prouve qu’il est possible. De monter sa boite, de vivre sereinement en famille, de manger bio tous les jours ou de se reconvertir. D’être résilient, de surmonter son trauma, de s’entraider. Et aujourd’hui, j’ai décidé de me concentrer sur ça, et sur rien d’autre.
Aimez-vous les uns les autres, prenez soin de vos proches traumatisés, de celles et ceux qui se battent chaque jour pour survivre – et si vous ne voulez pas ouvrir les yeux, si vous ne voulez pas être l’aidant – ce qui peut aussi parfaitement se comprendre – ne soyez pas celui ou celle qui maltraite et qui impose une souffrance supplémentaire. Les réseaux sociaux ne sont rien d’autre que ce qu’on choisit d’en faire, alors choisissons mieux.
prends soin de toi, ceux qui ne comprennent pas ça, ne méritent pas qu’on perdent du temps pour eux
Câlin virtuel <3 (ça fait du bien un coup de gue..le, hein ?)