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La légitimité que nous nous donnons.

Il y’a quelques jours, après une story Instagram rédigée à la va-vite, entre deux quintes de toux et une fin de tasse de chocolat tiède, dans laquelle (la story, pas la tasse) je parle d’IMG, de FC, de MFIU, une abonnée m’écrit pour me demander si je compte aussi les GEU (les grossesses extra utérines) dans la famille du deuil périnatal. A trop mentionner des acronymes qui n’ont de sens que pour notre communauté (je fais un quizz à la fin de cet article, je vous préviens), j’en avais oublié un, pourtant tout aussi important que les autres.

Une autre me questionne dans la foulée en commentaire sous un post: « j’ai fait ma fausse-couche avant même de savoir que j’étais enceinte, ma tristesse compte t-elle? »

Une femme me demande en MP (mail privé): « l’OMS fixe le seuil de viabilité des bébés à 22 semaines d’aménorrhée, mais toi, tu en penses quoi? Parce que j’ai perdu mon bébé à 20 semaines d’aménorrhées, et je ne sais pas bien si j’ai le droit de me définir comme une maman endeuillée »

Une maman de me dire également dans un mail: « moi dont le bébé est décédé bien après la naissance, je n’ai pas toujours le sentiment de faire partie du deuil périnatal et de pouvoir en parler avec vous ».

C’est aussi cette copine qui me confie qu’elle ne se sent pas toujours légitime à parler de son chagrin, parce qu’après tout, elle n’a vécu « que » quelques fausse-couches. Cette autre femme que je connais qui n’ose pas divulguer qu’elle a fait une interruption médicale grossesse, par crainte du jugement des autres – comme je l’ai moi même fait pendant des années avant elle.

 

Ces propos, ces situations,  je ne les ai pas inventés. Cela vous choquera sans doute, vous questionnera certainement (du moins, je l’espère un petit peu, sinon c’est que j’ai foiré mon intro).

Ce n’est pourtant qu’une semaine ordinaire sur A Nos étoiles, le compte instagram consacré au deuil périnatal que j’ai lancé en 2019. Une semaine à répondre à chacune. A tenter de rassurer. Une semaine à poser les mots que, trop souvent, ces femmes n’ont jamais eu encore l’occasion d’entendre, tant ce qu’elles vivent est tabou, nié, caché. « Oui, tu as le droit de pleurer ton bébé, et de dire ta tristesse – au moins au sein de notre communauté ».

 

Parce que derrière ces questions de « classification » et de définitions d’acronymes dont les quelques petites lettres ne suffisent pas à révéler tout du chagrin que ces parents vivent, derrière les interrogations des unes et des autres sur le seuil de viabilité fixé par l’OMS (qui fait parfois plus de mal que de bien, soit dit en passant), il y’a cette angoisse, lancinante, dévorante: « suis-je légitime pour pleurer mon bébé »?

Je ne sais pas bien si vous vous rendez compte de la violence inouïe de cette question. De la violence de ne pas se sentir « autorisé.e » à pleurer ce bébé parti trop tôt. De la solitude immense de ces femmes qui,  même en présence d’autres parents endeuillés, n’osent pas toujours rejoindre la conversation qui s’ouvre à elles tant elles ont peur de ne pas avoir le droit de prendre la parole.

Tout est dit, non?

 

Si j’étais cynique, je vous dirais qu’il est formidable de constater à quel point nous, les parents endeuillés, sommes finalement de « bons élèves ». A force de ne pas pouvoir parler de nos bébés décédés, par manque de mots pour nous définir, par manque d’espace de parole dans la société, nous en arrivons à nous auto-censurer face aux seules autres personnes qui seraient pourtant capables de partager notre peine: les autres parents en deuil de leur bébé. Comme si nous n’étions pas assez légitimes pour le faire.

Mais c’est quoi, au juste, la légitimité quand on parle de deuil?  A partir de quel moment est-il jugé acceptable de pleurer son bébé?

Cette question, elle en soulève deux autres: C’est quoi, dans le fond, un « bon » parent endeuillé?  C’est quoi, en vrai, une « bonne » mort périnatale? Celle dont on peut parler à la société sans craindre de choquer ni de faire tâche? (spoiler: aucune).

 

L’autre jour, je répondais par téléphone aux questions d’une journaliste, à la recherche d’une femme pour témoigner face caméra sur son expérience du deuil périnatal. J’ai pris l’habitude de prévenir: j’ai fait deux interruptions médicales de grossesse, j’ai fait une fausse-couche après une PMA à l’étranger. Mon deuil périnatal n’est pas consensuel. Rapidement, je comprends: non seulement mon profil est trop « disruptif » pour une émission grand public (je ne suis pas complètement concon, je le savais déjà) , mais cette journaliste cherche surtout un profil très particulier de femme endeuillée: 2 ou 3 fausse-couches max, pas plus tard que 5 mois, « pour que les téléspectatrices s’identifient à elle ».

Ce que ces journalistes ne comprennent pas, c’est qu’en faisant ça, cette espèce de sélection hypercalibrée jusque dans l’intimité d’un deuil, ils ne font que contribuer à perpétuer le tabou qu’ils prétendent combattre. Parce qu’on ne brise pas un tabou en faisant du pré-formaté. Parce que le tabou, ce sont les fausse-couches, oui. Ce sont aussi les GEU, les grossesses molaires, les interruptions médicales de grossesse, ces morts foetales in utero. Ce sont ces histoires de femmes, pas si rares, dont le bébé sera décédé juste avant, ou juste après l’accouchement. On en fait quoi, de ces femmes là? On les oublie parce qu’elles ne passeront pas suffisamment bien à la télé?

 

J’ai vécu deux IMG à 6 et 5 mois de grossesse sans difficulté dépressive postérieure relative, mais il m’aura fallu une fausse-couche pour déclencher un syndrome de stress post-traumatique. Non, il n’ya pas de « bon » deuil périnatal, non, il n’ya pas de « petite » fausse-couche.

Alors je vous dirais simplement que cette légitimité que les autres ne vous donnent pas: prenez-là. 

Notre parole, notre liberté de parole, elle vient aussi de la légitimité que nous nous autorisons à avoir face aux pertes périnatales que nous avons vécues.

Non, au moment du décès de notre bébé, nous ne partagions pas nécessairement le même terme, les mêmes circonstances, le même protocole médical. Mais le deuil périnatal que nous avons vécu, celui que nous vivons encore aujourd’hui,  personne n’a le droit de le questionner. Personne ne peut nous le retirer. 

Vous êtes légitimes, quel que soit le triste acronyme qui est venu vous prendre votre bébé – CMV, GEU, IVG, IMG, MIN, MFIU. Quel que soit le terme. Quelle que soit la façon dont vous avez choisi de gérer l’après.

Prenez soin de vous. Et parlons-en. Enfin. <3

 

 

 

Cet article a 2 commentaires

  1. Margaux Turi

    Ce message est un hymne à la vie et à la tolérance. Il devrait être prêché partout tant il est puissant et je dirai même il devrait être diffusé en taguant la chaîne TV qui osé faire une sélection du bon « deuil périnatal ». Ce message à lui seul est LE reportage pour briser ce tabou. Même après tous mes combats pour aller de l’avant je crois que c’est vraiment la première fois que je me sens légitime et que je lis et je vois ce foutu mot GEU rentrer dans une case.
    MERCI
    Margaux (re.birth.wellness)

  2. Ariel

    Merci pour cet article.
    Vous avez l’art de poser les mots pour définir l’indéfinissable.
    Je suis chanceuse, je le sais, je le mesure tous les jours. J’ai 2 enfants en bonne santé qui me remplissent de bonheur et me rendent chèvre tout à la fois.
    Mais au fond de mon cœur et dans le ciel, il y a une minuscule étoile. Une petite étincelle arrivée vite, très vite, dans nos vies. Et qui est repartie tout aussi rapidement après quelques semaines, à peine le temps de réaliser et d’investir cette grossesse.
    Et cette petite étoile filante j’y pense, quasiment tous les jours avec tendresse et douleur. Parfois les larmes coulent. Et jamais je n’ai osé en parler. Après tout, cette fausse couche est arrivé si vite…
    Votre article m’offre un peu de réconfort, de douceur, de tendresse.
    Merci.
    A toutes nos étoiles.

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