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Allongement du congé paternité: et pour les pères endeuillés?

A moins de vivre dans une grotte perdue sur une ile déserte (et sans 4G), vous n’avez pas pu louper l’info de la semaine: l’annonce de l’allongement du congé paternité, actuellement de 14 jours, à 28 jours. Si d’aucuns s’offusquent déjà du fait que 28 jours, ce n’est sans doute toujours pas assez pour impliquer pleinement les jeunes papas dans les premiers moments de la vie de leur bébé, il n’empêche qu’une question commence à bruisser doucement sur les réseaux sociaux: et quid des papas endeuillés?

Alors je ne vous dirais pas que « la question elle est vite répondue », puisque le projet de loi n’est pas encore rédigé, et qu’à ce titre, il n’est pas encore possible de nous plonger dans les détails d’amendements rédigés dans un langage aussi abscons qu’imbitable sur le site de l’Assemblée Nationale (ma grande passion du moment, vous commencez à le savoir). Il n’empêche: si la loi le permet, autoriser les papas endeuillés à bénéficier de l’allongement de ce congé, pour moi: c’est un grand OUI.

Je vous explique.

Ce que prévoit la loi aujourd’hui:

Au même titre que la mère ayant accouché de son bébé né sans vie à partir de 22 semaines d’aménorrhée peut prétendre au congé maternité, le père endeuillé peut, lui aussi, demander à prendre son congé paternité. Donc là dessus, il n’y a pas de loup.

J’entends déjà certaines voix me dire « mais pourquoi prendre un congé maternité quand tu n’as pas de bébé? » Entendons-nous bien, je ne suis pas Jeanne D’Arc: après deux interruptions médicales de grossesse, et les deux congés maternités correspondant, j’ai réellement entendu ces questions: « Ah, bon, si tu penses que c’est nécessaire… ». « T’étais en congé maternité? mais pourquoi? ». C’était pas pour repeindre ma cuisine, Micheline. J’en avais tout simplement besoin.

Oui, le congé maternité est nécessaire, y compris quand le bébé décède.

Si vous avez suivi jusqu’ici, à 22 semaines d’aménorrhées il y’a accouchement, et qui dit accouchement dit « suites de couches », « culottes filets », « montées de lait », et « je marche en canard sur les trottoirs ». Pour le dire autrement: oui, même lorsque le bébé décède, le corps doit se remettre en douceur, à son rythme. Comme pour n’importe quelle autre maman. 

Certains objecteront qu’un arrêt de travail serait tout à fait suffisant, ce qui n’est pas absolument vrai, le congé maternité permettant à la jeune maman endeuillée de ne pas avoir à justifier, ni à quémander, son temps de repos à la maison. Si cela vous semble sans doute idiot de raisonner ainsi, je vous rappellerais juste que les médecins, aussi bien intentionnés soient-ils, ne sont pas tous de fins psychologues, et peuvent même, parfois,  se montrer maltraitants par manque de connaissance et de compréhension du deuil périnatal.

Alors dans ce cadre, le congé maternité, c’est ce qui permet à la jeune accouchée endeuillée de prendre soin d’elle, oui, mais aussi de faire reconnaitre son statut de jeune maman à la société.

Je sais que beaucoup jugent, ou pointent du doigt les parents qui font également le choix de percevoir la prime à la naissance, ou d’inscrire leur bébé décédé lors de leur déclaration de revenus de l’année comme comptant en tant que « membre » de la famille. « Ils en profitent pour toucher de l’argent, c’est absolument scandaleux ». Ces personnes ne pourraient avoir plus tort… en dehors du fait que l’organisation des obsèques coute une petite fortune (alors oui, on imagine mal une prime à la naissance être utilisée pour enterrer son bébé, je peux tout à fait le concevoir – mais croyez-moi, pour beaucoup de parents cette prime est la bienvenue pour financer des obsèques dont ils n’auraient voulu pour rien au monde), ces possibilités légales et administratives sont aussi la possibilité pour les parents d’être reconnus comme tels. Si l’entourage détourne assez rapidement le regard après le décès d’un bébé, si aucun mot n’existe encore dans la langue française pour désigner des parents dont le bébé ou l’enfant est décédé, alors au moins reste -t’il à ces parents endeuillés la possibilité de faire exister leur bébé, ne serait-ce qu’en cochant une case dans la déclaration d’impôt, ou en envoyant le certificat d’accouchement à leur CPAM.

Et pour les papas?

Eh bien pour les papas, c’est exactement le même topo, à ceci près que si le deuil périnatal n’est en soi pas reconnu par la société, le statut de papa endeuillé disparait carrément des radars.

Comprenez bien que, lorsque le bébé décède in utero ou que l’interruption médicale de grossesse se profile, l’attention du corps médical se reporte sur nous, les mères. Il faut préparer l’accouchement, il faut pratiquer les examens nécessaires pour comprendre l’impensable – c’est le temps des amnioscentèses, des IRM, des prises de sang et des prélèvements ADN. On attend souvent du père, aussi bouleversé soit-il, qu’il soutienne sa compagne dans cette double peine, dans ce moment d’effroi le plus total auquel se cumule toute une série d’examens plus invasifs les uns que les autres. Et puis il y’a l’accouchement, et donc les suites de couches, dont je vous parlais plus haut.

N’allez pas croire pour autant que la suite est plus simple à vivre pour la jeune accouchée endeuillée qui se retrouve seule chez elle, sans bébé, ni coparent (parti reprendre le travail sans tarder). Alors cet allongement du congé paternité pour les papas endeuillés, il me semble indispensable: indispensable pour pouvoir continuer à se soutenir en tant que couple dans une épreuve absolument impensable. Indispensable aussi pour que le père puisse, lui aussi, prendre le temps dont il a nécessairement besoin pour panser ses plaies, à l’abri des regards. Personne n’a jamais demandé à mon mari comment il se sentait, suite à mes 2 IMG – lui aussi, pourtant, a perdu deux petites filles. Lui aussi les a prénommées, après avoir été les déclarer au service d’état civil de la mairie la plus proche. Mais lui, contrairement à moi, n’a pas bénéficié du huitième du soutien auquel j’ai pu avoir recours. Parce que c’est bien connu, hein: un papa, ça ne pleure pas?

Eh bien, et c’est sur cette note que je terminerais: un papa, ça pleure son bébé, comme n’importe quel parent. Mais encore faut-il, pour cela, leur laisser l’espace nécessaire pour pouvoir le faire. Peut-être faut-il sensibiliser, encore un peu plus, pour que certains médecins arrêtent d’affirmer haut et fort que « dans le deuil périnatal, celle qui souffre, c’est la mère, pas le père » (entendu de la bouche d’un psychiatre il y’a quelques années de cela). Et c’est aussi en cela que les lois peuvent aider: en reconnaissant la possibilité aux hommes dont le bébé vient de décéder d’accéder à ce congé paternité allongé, nous leur reconnaitrons également le droit de vivre le deuil, pleinement, comme n’importe quel parent.

 

Cet article a 3 commentaires

  1. Weena

    (alors oui, on imagine mal une prime à la naissance être utilisée pour enterrer son bébé, je peux tout à fait le concevoir – mais croyez-moi, pour beaucoup de parents cette prime est la bienvenue pour financer des obsèques dont ils n’auraient voulu pour rien au monde), rien que pour cette parenthèse, amen !
    Comme je le disais à Aurevoir.Podcast, une chance dans notre malheur, c’est que notre fils est décédé une semaine avant les vacances d’été de mon mari. Libéral, donc pas concerné par les congés paternité (oui, oui, les pères libéraux ne sont pas pris en comptent), ce sont ses collègues qui ont géré le cabinet dans l’urgence les premiers jours, mais ensuite, savoir que nous avions ces 15 petits jours pour commencer notre deuil ENSEMBLE, mais aussi accompagner nos enfants, ce fut très précieux <3

  2. Gaël Sternis

    En tant que papa endeuillé (il y a 3 ans presque jour pour jour – témoignage relayé sur votre blog : http://lamarmotteuse.fr/la-minute-litteraire-53-jours-dun-amour-eternel/), je ne peux qu’être tellement d’accord avec vous Julie…

    J’ai eu la chance à l’époque d’être réellement épaulé par mon employeur (qui, grosso modo, m’a donné « carte blanche » pour le choix de mon retour au travail et m’a rémunéré à 100% sur toute ma période d’absence), mais le cadre de la loi doit effectivement changer.

    Car ce n’est qu’en prenant le temps qu’on peut tenter de se reconstruire…

  3. Virg

    Si cette loi, dont l’objectif est de rendre leur place aux papas dans la parentalité, n’était pas étendue aux papas endeuillés, elle perdrait de fait tout son sens. Je croise les doigts pour que ce ne soit pas le cas. Oui, les papas sont endeuillés, certes, ils n’ont pas les suites de couche mais le poids culturel du « tu seras le rempart de ta famille » doit être insoutenable dans ces moments-là.

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