You are currently viewing La violence

La violence

« Vous savez, je pense que vos 2 IMG et votre fausse-couche ont pu être provoquées, inconsciemment bien sur, parce que vous ne vous sentez pas capable d’être mère, ou parce que vous pensez ne pas le mériter ».

Cette petite phrase, elle a été prononcée par un psy, cette semaine, alors que je venais tester l’EMDR, méthode de désensibilisation dont j’avais entendu le plus grand bien – alors entre le Covid, le chat qui doit prendre ses antibiotiques pendant encore une semaine, des congés pas totalement merveilleusement bien calés par peur d’atterrir dans un cluster, eh bien allons-y, testons. Ça ne me rendra pas plus riche, mais ça égaiera sans doute un mois d’aout anxiogène comme jamais.

Ou pas.

 

Et donc me voilà dans le cabinet du médecin, alors que la première séance se termine. Et, sans connaitre mon dossier médical, sans même y être invité, le voilà qui me donne son avis sur ma situation.

Vous avez provoqué la maladie de vos bébés. Ça fera 100 euros. Vous pouvez disposer.

 

Sur le coup, je me suis vraiment sentie conne: conne de ne pas savoir comment réagir, conne de ne rien dire. Ce thérapeute – au demeurant plutôt poli – ne m’a pas crié dessus. Il ne m’a ni insultée, ni frappée, ni malmenée physiquement, en aucune manière que ce soit.

Mais les mots… le poids des mots…

Le temps que mon cerveau totalement éberlué assimile le contenu des paroles, le temps de marmonner un vague « je ne suis pas d’accord », j’étais déjà dehors. Sans trop comprendre ce qui venait de se passer.

Et puis le temps de rentrer chez moi, complètement sonnée, et d’assimiler, la colère, la tristesse ont déferlé.

 

J’aimerais vous dire qu’il ne s’agit que de la seule et unique fois où je me retrouve confrontée à un soignant totalement ignorant sur le deuil périnatal, ses causes médicales, ses conséquences psychologiques – malheureusement, ce n’est pas le cas.

« Votre fille de 6 mois est anorexique madame, parce que vous n’avez pas fait votre deuil » (une pédiatre – diagnostic totalement contredit par la suite).

« Vous n’avez pas vraiment accouché vous savez, mais bon, si vous vous sentez mal on peut en parler » (une psychiatre – si bichette, à 6 mois de grossesse: on accouche)

« C’était pas un vrai accouchement (décidément), il faut oublier tout ça » (la sage-femme qui m’avait… accouchée, pensant bien faire).

 

La différence, maintenant, eh bien c’est que maintenant quand un médecin, quand un soignant me malmène, je l’ouvre. Parce que ça fait 6 ans que je me traine le deuil périnatal dans les pattes, 6 ans que j’entends tout et son contraire, 6 ans que je dois faire face au jugement des gens- des soignants, de mes voisins, des collègues, de la boulangère du quartier – sur ce que je suis supposée dire, faire, ou penser pendant mon deuil.

6 ans que ‘j’ai appris à dire « stop », à dire « je ne suis pas d’accord », sans jamais m’énerver plus que de raisons parce que vous savez quoi? Si j’en venais un jour à perdre mes nerfs, à laisser le flot de colère qui m’habite parfois face à l’ignorance et l’aplomb de mon entourage, médecins compris, eh bien cela ne servirait qu’à justifier les propos tenus par ceux qui m’accablent.

La pédiatre qui avait soi-disant « diagnostiqué » une anorexie chez ma fille de 6 mois m’avait ainsi balancé à la figure le plus sereinement du monde: « vous pleurez madame, c’est bien que j’ai raison ».

 

Non. Je pleure parce que je suis une mère, endeuillée, certes, mais une mère, qui crève de trouille de mal faire, qui crève de trouille de bousiller son nouveau-né à force de chagrin, à force de pleurer de ne pas pouvoir tenir son ainée dans les bras, et qui se voit justement accuser de mettre en oeuvre son pire cauchemar. Je pleure parce que je suis un être humain, pas un numéro dans le cabinet d’une salle d’attente,  encore moins un cas d’étude. Je pleure parce que les mots ont un sens, parce que certaines paroles ne devraient jamais être prononcées sans la plus grande prudence, avec discernement face à un diagnostic aussi sérieux. Je pleure parce que je suis une patiente, et que vous, médecin, soignants, thérapeutes, êtes en train de me faire du mal.

Le « diagnostic » de cette pédiatre avait été assez rapidement jeté aux orties, mais 5 ans après, je ne peux y repenser sans me plonger de nouveau dans la colère, dans l’incompréhension.

5 ans après, je ne parviens pas plus à éviter les mauvais diagnostics, les jugements à l’emporte pièce, les certitudes de celles et ceux qui devraient, tout au contraire, être justement en capacité d’admettre que la certitude ne peut exister quand il est question de vie, quand il est question de mort.

 

Aujourd’hui, je suis cette femme, cette maman qui ne se lasse plus faire, non.

Je suis aussi celle qui ment quand elle rencontre un nouveau médecin. Je mens par omission, pour ne pas délivre l’intégralité de mon dossier médical. Pour ne pas livrer, de nouveau, à des mains non expertes sur la question le droit de me donner un avis quelconque, un diagnostic tout droit sorti de Psychologies Magazine. Pour ne plus me jeter en pâture à des soignants qui n’ont, malgré le joli diplôme accroché au dessus du bureau, strictement aucune conscience de la portée de leurs paroles.

 

Oh que le deuil périnatal est confortable, pour certains soignants.

Quand nous traversons la rue, au feu rouge, ma fille de 5 ans aime lever la main en direction des voitures à l’arrêt, pour leur dire « stop » (ou « parle à ma main », c’est selon). Dans son imaginaire foisonnant, sa main, par le truchement d’une forme de pensée magique, permet d’arrêter la circulation pour nous laisser traverser. Depuis quelques mois, la voici qui se tourne donc chaque fois vers moi, l’air triomphant. « Tu as vu maman? J’ai empêché les voitures de passer! ».

Les médecins qui se permettent de me jeter à la figure un quelconque diagnostic, absolument infondé et irrecevable en n’importe quelle autre circonstance, ne font pas mieux. En ignorant le feu rouge (la génétique), les voilà à penser que le simple fait d’être endeuillée, le simple fait d’être une femme dotée d’une conscience et d’un inconscient (ah, merci Freud) devient une explication plausible au moindre problème de santé. On arrête les voitures par la force de la pensée. Je tue mes bébés par la force de l’inconscient. Je rends ma fille anorexique par la simple existence de mon deuil.

Mes bébés étaient porteurs d’une autosome récessive.

Ma fille n’a jamais été anorexique.

Mais qu’importent les faits, face à la simplicité d’un diagnostic rendu possible par la magie d’une cause immatérielle, parfaitement impossible à prouver.

 

J’ai donc appris, en 6 ans, à mentir. A ne plus me laisser faire.

Est-ce que cela signifie que je ne souffre pas de ces paroles, des diagnostics posés à la hâte? Non, bien sur que non. Je vous l’ai dit, je reste une patiente. Un être humain. Une femme de chair et de sang obligée de se protéger.

Parce que combien d’autres mamans, en larmes au sortir des cabinets de certains praticiens? Combien de couples qui se taisent, sidérés par la violence d’un avis médical balancés à la figure sans aucun avertissement au préalable? Combien de patients, qui fuient les consultations par peur de la maltraitance psychologique, insidieuse mais ô combien violente? Qui mettent ainsi leur propre santé, physique ou mentale, en jeu, par peur des soins?

C’est cette maman qui me confie via à nos étoiles que son médecin n’a rien trouvé de mieux que de lui reprocher d’avoir tué son bébé in utero parce qu’elle s’y était « trop attachée ». Une autre qui me raconte que tel autre soignant, lui, lui a le plus simplement du monde balancé à la figure que son bébé était décédé à une semaine de vie parce qu’elle n’était sans doute pas prête à être mère.

C’est cette violence verbale, psychologique, que tant de femmes en détresse se prennent dans la figure au moment sans doute le plus vulnérable de leur vie. Ce sont tous ces soignants qui n’ont même pas la décence, si ce n’est de se renseigner un minimum sur les lois de la génétique et de la pédiatrie, de garder leurs commentaires pour eux.

De quel droit oser dire ça?

 

Je fais le choix de faire confiance. De ne retenir, le plus possible, que le positif chez les médecins qui me suivent. Parce que je sais le dévouement de certains, je sais leur émotion, depuis ma dernière fausse-couche.

Mais putain. Parfois, j’ai vraiment les boules.

 

J’ai donc envoyé un message à ce thérapeute, pour lui dire à quel point je n’étais pas à l’aise à l’idée de poursuivre le travail avec une personne qui pourrait être amenée à penser que, quelque part, au fond de moi, j’aurais provoqué la maladie qui aurait tué mes bébés. Je vous la fait courte mais il m’a rappelée. On s’en engueulés. Il a fini par s’excuser.

C’est déjà ça, très certainement. Est-ce que cela signifie que ce thérapeute y penser à deux fois avant d’émettre un prochain jugement face à une maman endeuillée? Je n’en suis pas sure, je ne peux que l’espérer. Qu’à défaut de prendre en considération, mettons, la science et les bases la médecine dans son prochain diagnostic, il aura au moins, à minima, la décence de se taire.

Parce que de quel droit asséner une telle condamnation face à des patients nécessairement démunis, en détresse?

De. Quel. Droit?

Et moi, il ne me reste plus qu’à panser mes plaies, qu’à chercher une personne de confiance, sans être totalement sure de vouloir pousser la porte d’un nouveau cabinet médical avant un petit moment.

 

Cet article a 7 commentaires

  1. Weena

    Tout est dans le titre, comme tu dis : la violence
    Et quand je lis certains des commentaires sous tes publications, je me dis que j’ai eu tellement de chance de croiser ma super psy, de pouvoir la choisir avant même le deuil et d’être si bien accompagnée au moins par elle

  2. Manon

    Çà fait 2 jours que j’ouvre et referme cette page par ce que je veux laisser un commentaire, mais je ne trouve pas les mots !
    Je trouve pas les mots pour exprimer ma colère contre ce genre de personne, qui est en plus dans le milieu médical ! On en bave déjà assez avec l’entourage (proche ou pas) qui ne savent pas comment nous parler (qui le + souvent se taisent d’ailleurs), mais je peux les comprendre, ils ne sont pas « formés » pour ça, ils n’ont pas les clefs.
    Mais venant du milieu médical, et d’autant plus un psy, qui est sensé être amené a avoir des patients dans ce cas (car oui un dentiste formé au deuil périnatal c’est moins pertinent..!) je trouve ça inadmissible. Et nous on se prend cette violence en pleine gueule, alors que nous sommes déjà bien désarmées.
    Je te l’ai déjà écrit, mais ce n’est pas de ta faute et j’admire ton courage pour avoir pu lui répondre.
    Je te soutiens car on sait tous que les mots font mal et qu’on les ruminent longtemps, même si consciemment on sait qu’ils sont faux.
    Et merci de tout ce que tu fais, ça en aide beaucoup.

  3. Docteur Mamangue

    C’est dur à lire, difficile à concevoir venant de soignants.
    J’espère sincèrement ne pas faire, sans m’en rendre compte, preuve d’une telle violence envers mes patients.

  4. Madame Nounours

    Bien que je n’ai pas vécut le deuil périnatal, j’imagine la baffe qu’on doit ressentir vis-à-vis des propos hyper violents de ces soignants. Je constate que pas mal de médecins ont une approche bienveillante et surtout de l’écoute quasiment nulle pour leurs patients. Lorsqu’on m’a annoncé mon mélanome, le dermatologue n’a pas eu des mots très réconfortants et a été assez brut de pomme dans l’annonce en elle-même. D’ailleurs mon généraliste m’avait proposé de consulté un psy pour exposé mes doutes et mon ressenti face à la maladie, mais bizarrement j’ai refusée même si j’ai pris son ordonnance car j’avais peur d’être mal accueillie et d’avoir des reproches de ce soignant. Alors certes, je ne peux pas comparé mon cancer et la perte d’un enfant mais je pense que les soignants devraient avoir des cours d’empathie même si je reconnais que c’est quelque chose d’innée et non qui s’apprend en formation mais je constate que ça apporterait beaucoup aux soignants notamment pour accompagner des patients qui vont très mal psychologiquement.

  5. Charlene

    Bravo d’avoir eu la force de rappeler cet imbecile. une copie de ton article à l’ordre des médecins et sage femme ? Au quotidien du médecin ? Aux doyens des CHU ? On pourrait rêver qu´Il y ait une prise de conscience…
    Merci pour tout ça que tu fais

  6. Ccil

    J’ai été plus confrontée à ce type de jugements / commentaires de la part de connaissances que de la part de soignants. Néanmoins, chaque nouveau soignant que je souhaite consulter, je me le fais recommander par un autre soignant en qui j’ai confiance, ayant en effet peur qu’il fasse plus de mal que de bien s’il ne connaît rien au deuil périnatal.
    Comme tu l’expliques bien, on a souvent tendance à ne rien dire où à mentir par omission quand on sent que ce n’est même pas la peine d’essayer d’expliquer les choses telles qu’elles sont face à son interlocuteur. En revanche, à un moment j’en ai eu assez qu’on me dise que j’avais fait une fausse-couche (pour de nombreuses personnes, tout décès d’un bébé est dû à une fausse-couche) alors que mon premier enfant est décédé le jour de sa naissance puis j’ai fait une fausse-couche. Donc, quand un infirmier dans un labo par ex me demande « pourquoi vous faites cet examen », je prends le temps d’expliquer : « mon premier enfant est décédé le jour de sa naissance après un accouchement très maturé et j’ai fait une fausse-couche ».
    Je suis totalement d’accord avec toi quand tu écris que s’emporter face à de tels propos ne ferait qu’acréditer leur jugement, néanmoins qu’est ce qu’on en a parfois envie ! Tu as bien fait de dire à ce « spécialiste » de l’EMDR à quel point il est à côté de la plaque et violent dans ses propos.

  7. Julie Sabourault

    J’ai eu aussi tellement de réflexion gratuite du style : ton fils (mort in Utero) a du être la réincarnation de ton père (mort 6 ans avant) Mon dieu, ce que les gens disent comme conneries ! C’est dégoutant !
    Ou bien; tu dois avoir encore des peurs puisque tu n’arrives pas encore à tomber de nouveau enceinte. Ou bien, une autre me félicite d’être en vie car j’aurais pu me suicider à la suite de la mort de mon enfant. et jen’ai rien dit. J’ai juste disparu.
    Te lire me donne la force pour dire STOP les prochaines fois. On n’est pas obligée de laisser faire.
    Moi aussi ça fait 6 ans. Je me suis trop jugée pour toutes mes réactions que je ne comprenais pas. J’ai maintenant envie de récupérer de la douceur et la compassion pour moi-même. UN GRAND MERCI.

Répondre à Manon Annuler la réponse

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.