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Ne me parlez plus d’hypermédicalisation de la grossesse, pitié!

Cela fait maintenant des années que je tourne autour du sujet sans oser franchement l’aborder. Que je crains de me prendre les pieds dans le tapis, ou de les mettre dans le plat. De soulever une tempête de commentaires désobligeants ou de me faire mal comprendre. Et pourtant, à la faveur d’un énième post sur instagram -d’une doula, le comble! – critiquant la « médicalisation de la grossesse », je crois que quelque chose a rompu. Je me suis désabonnée du compte en question. Et depuis, je mouline.

Voilà: je m’appelle Julie et je ne supporte plus d’entendre parler d’hypermédicalisation de la grossesse. (« Bonjour Juliiiie »).

Alors avant toute chose, oui: je comprends. Je comprends celles qui ne veulent pas de péridurale (enfin, non, je ne comprends pas complètement l’envie de se passer d’anesthésie quand il s’agit de faire passer un machin de la taille d’un pastèque dans un trou grand comme un citron, mais mettons que je comprends tout à fait qu’on ait envie d’autre chose) (je ne sais pas si je suis claire) (ps: c’est de l’humour).

Je comprends qu’on ne se sente pas forcément à l’aise/ à son avantage/ en sécurité avec les pieds dans des étriers, devant une horde d’inconnus, sans trop savoir ce qui va nous arriver (il vaut mieux avoir une solide confiance en son équipe soignante, je vous rejoins à 100% sur ce point).

Je comprends la lassitude de devoir, enceinte, aller se faire piquer le bras tous les mois.

Je comprends qu’on se sente humiliée de devoir pisser dans un pot en plastique trop petit dans des toilettes qui donnent directement sur la salle d’attente du laboratoire.

Je comprends qu’on ne comprenne pas le pourquoi de ces visites mensuelles, du RDV chez l’anesthésiste, des recommandations parfois pressantes des médecins pour réaliser certains examens.

Je comprends qu’on ait parfois envie d’autre chose, de se reconnecter différemment à ce bébé à naitre. Qu’on se questionne, qu’on se renseigne sur d’autres méthodes, d’autres façons d’accoucher.

Ça vraiment, tout ça, je comprends.

 

Par contre, le discours à base de « la médicalisation de la grossesse, ça ne sert à rien ». « L’accouchement à l’hôpital, sur le dos et à la merci des médecins, ne sert qu’à asservir les femmes ». « Accoucher chez soi sans soignants, c’est quand même mieux ». « Les médecins veulent juste te surfacturer pour se payer leur résidence secondaire »: ça non, je ne comprends pas. Je ne comprendrai jamais, pour être tout à fait honnête.

Je veux dire, je vois le schéma qui se dessine. On va prendre un exemple: beaucoup critiquent le fait qu’accoucher les pieds dans les étriers et sur le dos, ce n’est pas physiologique, que cette position ne sert surtout qu’à avantager les médecins. Et si cela ne m’a jamais à titre personnel dérangée de m’imaginer accoucher ainsi, là encore: je comprends qu’on n’en ait pas vraiment super envie.

Mais comment diantre (vous me pardonnerez mon langage) sommes-nous passés de « ce n’est pas physiologique » à « l’accouchement sur le dos est un instrument du patriarcat qui ne sert à rien d’autre qu’à asservir les femmes »?

Grand mystère.

 

Vous savez ce que je pense? Que derrière certains discours qui se voudraient libérateurs et féministes se cache en réalité une idéologie tout aussi dangereuse que les travers qu’ils prétendent combattre. Qu’on essaie un peu trop, depuis un peu trop longtemps,  de nous faire croire à tout prix que la grossesse, c’est easy, fingers in the nose, après tout, c’est tellement naturel, après tout, les femmes ont bien accouché pendant des siècles sans tout ce barnum, qu’est-ce qu’on vient nous emmerder aujourd’hui dans notre liberté de donner la vie?

Et j’aimerais y croire tout autant que vous, vraiment. J’aimerais penser que la grossesse n’est qu’un merveilleux moment à passer. Que le pire que je puisse connaitre, ce sont les nausées du premier trimestre,  un peu de rétention d’eau et, allez, quelques hémorroïdes histoire de faire bonne figure pour dire que j’en ai chié (haha) (pardon) quand je raconterai ces 9 mois gentiment pénibles, mais au final pas si pires que ça quand on voit le résultat.

 

Sauf que: devinez chez qui ce type de discours accroche plutôt moyennement?

Bingo: chez les parents endeuillés.

Parce que nous: on sait.

 

Que si l’échographiste appuie comme un malade sur ton ventre, c’est pas pour le plaisir de te voir souffrir, non, c’est parce qu’il a réellement besoin de voir les organes de ton bébé et que pour ça, on a pas le choix, faut y aller franco avec la sonde dans le gras du bide.

Que ta prise de sang mensuelle, elle est pas juste là pour te remuer les hémorroïdes (comprendre: te faire chier) (j’ai fait bac L, tu comprends), mais pour détecter un virus ou un taux de sucre dans le sang pas tout à fait normal qui pourraient, au choix, rendre ton bébé lourdement handicapé ou provoquer sa mort.

Que le test du glucose, c’est pas juste pour faire ricaner les laborantins devant ton visage qui vire de toutes les couleurs (ce machin est dégueulasse, nous sommes d’accord), mais parce que le diabète gestationnel ça peut non seulement te rendre sérieusement malade, mais aussi tuer ton bébé (on dirait que je me répète, mais vous savez quoi? j’ai l’impression qu’il n’y a qu’à force de répéter que parfois, les bébés ça meurt, que le message pourra passer).

Que ton pipi dans ce pot en plastique trop petit, il peut te sauver la vie si on y détecte un peu trop de protéines (vous ai-je déjà dit que cela pouvait aussi sauver la vie de ton bébé? J’ai oublié, vraiment, désolée si je me répète).

Que les médecins qui s’affairent autour de toi pendant ton accouchement, eh bien ils sont aussi là pour vous éviter de mourir, toi et ton bébé, en cas de complications. Et que sans eux, j’aurais un bon paquet de copines en moins à qui parler sur messenger quand j’en ai marre de lire des pseudo articles sur l’hypermédicalisation de la grossesse, justement.

 

Je sais: c’est pas drôle. Parler de bébés qui meurent pendant la grossesse, ou pendant l’accouchement, je ne connais personne qui serait à l’aise avec ça. Les soignants n’ont aucune envie de faire peur à leurs patientes. Alors c’est pas qu’ils mentent, non. mais disons qu’ils oublient aussi parfois d’expliquer pourquoi tous ces examens sont nécessaires. Et à force d’oublier, on en arrive la. « La grossesse, c’est trop médicalisé, ça ne sert à rien, on nous ment, on nous spolie nos accouchements ».

 

Alors oui: certains médecins ne sont pas délicats. Certains médecins sont même carrément des connards qui ne méritent pas d’exercer. Vous ne me ferez jamais dire le contraire. Jamais.

Mais de là à penser également qu’après tout, ces conneries, ça n’arrive qu’aux autres, non?  A celles et ceux qui savent qu’ils sont porteurs d’une maladie génétique? A celles qui font n’importe quoi pendant leur grossesse? Moi je veux dire, je fais tout bien comme il faut, je suis à l’abri, c’est bon, ça va, foutez-moi la paix avec prises de sang et vos pipis humiliants.

Vous comprenez bien là où je veux en venir: il n’ya qu’un pas qui se franchit beaucoup trop vite à mon gout.

 

Une femme m’écrivait un jour, avec une honnêteté qui m’avait vraiment émue et totalement désarmée, juste après avoir perdu son bébé: « avant, je pensais que ça n’arrivait qu’aux cassos ». Aux cas sociaux, aux gens un peu chelous, aux gens qui font exprès. Aux autres quoi. Et vous savez quoi? Moi aussi, je l’ai pensé un jour. Avant que tout cela ne me tombe dessus.

Avant qu’un médecin ne m’explique un jour que « 70% des patients ne se savaient pas porteurs d’une quelconque maladie génétique avant de perdre un bébé ». Avant que mon obstétricien de l’époque ne m’ouvre en urgence son cabinet médical à 21h un soir après une échographie en tous points catastrophiques, alors qu’il n’y était pas obligé, qu’il aurait pu me faire revenir le lendemain, ou dans deux jours – après tout, ma vie n’était pas en danger, alors à quoi bon se presser?

Avant que je ne voie le personnel médical, sage-femmes comme échographiste comme gynécologues comme anesthésistes comme infirmiers, réellement émus de ma situation au point de ne plus savoir quoi me dire, au point de me poser une main sur l’épaule, de me caresser la joue, de me dire « moi aussi » juste avant une IMG ou de faire des blagues pour me dérider un peu avant un curetage en urgence.

Avant que je ne lise tous ces témoignages, si nombreux et si poignants, de parents dont le bébé est décédé, non sans un ultime combat, non sans une ultime mobilisation pleine et entière de l’équipe médicale pour tenter de lui sauver la vie.

 

Vous allez sans doute me trouver mélodramatique, vous allez sans doute vous dire que j’en fais trop, que je passe à côté du débat. La vérité, c’est que ces discours « anti » me débectent, tout simplement parce qu’en plus de nier le combat et l’investissement entier et total des équipes médicales, ils mettent des vies en danger. Celles de femmes, et celles de leurs bébés.

 

Oui, laissons les femmes choisir: l’accouchement qui leur convient le mieux. Le suivi qui leur sera le plus adapté. Mais arrêtons de mystifier la grossesse au point de raconter aux femmes que ces 9 mois constituent forcément un moment magique. Que tout ne sera que pétales de roses et épanouissement.

Arrêtons aussi, au passage, d’opposer sage-femmes soi disant « bienveillantes » face aux vilains médecins qui n’obéissent qu’à leur bon vouloir face à des femmes totalement démunies. Allez lire les témoignages d’A nos étoiles: vous y trouverez à peu près autant de témoignages de gynécologues maltraitants que de sage-femmes odieuses. Vraiment.

Elle est pas là, la vérité: elle n’est pas dans l’opposition des vilains obstétriciens versus les gentilles sage-femmes. Elles est pas dans l’opposition de la grossesse médicalisée versus la grossesse toute naturelle.

Vous savez ce qu’elles méritent, les femmes? Elles méritent qu’on leur explique. Qu’on leur dise pourquoi on leur fait subir tous ces examens. Sans pour autant rendre la grossesse hyper anxiogène au point de les effrayer avec des histoires de bébés mort-nés, non. Mais je constate que, le plus souvent, celles qui ont mal vécu leur parcours ne comprenaient pas, en réalité, la raison des prises de sang, des RDV mensuels, des « je te tâte le col et je te fais une écho par voie endovaginale (je vous rassure: j’ai blêmis comme vous toutes en voyant l’engin, la première fois) (« Mais enfin docteur, qu’est-ce que vous comptez faire avec ce truc au juste? »). La vérité, elle est dans la pédagogie, parce qu’il ne peut y avoir justement de consentement éclairé sans comprendre ce qui nous attend. Il ne peut y avoir de juste ni de libre choix sans connaitre les risques encourus.

J’ai fait du chemin moi aussi, moi qui, après ma première IMG, ne comprenait pas pourquoi certaines de mes copines rêvaient littéralement d’accoucher à la maison (« mais tu veux mourir ou quoi? »). Je me suis renseigné, j’ai compris. Alors quoi, qu’est-ce qui nous empêche de faire le chemin inverse, en arrêtant de diaboliser ce qui contribue bien au contraire à sauver la vie de tant de bébés, et de tant de femmes, chaque année en France? Ce n’est pas un gros mot que de dire que la médicalisation sauve des vies. Qu’il ne s’agit pas tant d’hypermédicalisation que d’accepter tout bêtement qu’il y’a des choses qu’on ne sait pas contrôler – et non, jamais aucun médecin ne saura vous promettre dés le début de votre grossesse en toute sincérité que votre bébé naitra vivant et en bonne santé- sinon, il ne vous prescrirait justement pas tous ces examens que vous trouvez si inutiles.

J’ai l’air en colère? Je le suis sans doute, pour avoir déjà perdu 3 bébés. Mais aussi pour avoir vu de mes propres yeux à quel point les médecins, les sage-femmes, les infirmiers ne sont PAS nos ennemis. A quel point tous ces examens ont leur utilité – au point où ils m’ont permis, au choix 1) de décider de la fin de ma grossesse et de la façon dont mes bébés allaient décéder et 2) de ne pas risquer une infection suite à la mort in utero d’un bébé encore trop petit pour que je ne le sente bouger.

Je crois aussi que je n’en peux plus d’entendre tant de femmes venir me voir sur instagram pour me dire « je ne savais pas. Pourquoi les prises de sang étaient si importantes. Pourquoi il me fallait prendre de l’acide folique. Que les échographies, c’est pas juste pour faire « coucou au bébé » .

 

Vous savez ce que je pense? Que sous couvert de « protéger » les femmes enceintes d’histoires qui font peur, on les infantilise au point de ne pas leur expliquer les risques encourus si elles refusent de pratiquer certains tests – et sur ce point, médecins bien installés comme influenceuses du dimanche sont à tenir pour responsables.

Faut-il obliger toutes les femmes enceintes à suivre le même parcours médical? Non, clairement non. Mais cela ne signifie pas que nous avons le droit de mentir, ne serait-ce que par omission , ni d’enjoliver certaines réalités.

Alors prenons les femmes enceintes pour ce qu’elles sont: des êtres humains capables de discernement, capables de faire des choix, pourvu que les informations à leur disposition soient suffisamment complètes pour leur permettre justement de le faire. Arrêtons de raconter des âneries sur les réseaux sociaux – et là, je vise particulièrement les professionnels de santé, qui pour le coup n’ont strictement aucune excuse. Il n’y qu’ainsi, et non en opposant des ennemis imaginaires à d’innocentes victimes, que nous parviendrons à tenir enfin un discours sensé et éclairé sur la médicalisation de la grossesse.

 

Cette publication a un commentaire

  1. Annabelle

    Merci!!!
    Cet article me parle vraiment car sans arriver à mettre des mots dessus, ce sujet me dérangeait fortement..
    Mais oui, quand on a vécu une grossesse/un accouchement/une suite de couche pas toute rose… on est tellement contents de trouver tous ces gens, tous ces test, qui nous informe, nous rassurent, nous paniquent, mais au moins nous prévienne de ce qui peut arriver… Personnellement j’ai fait une pré éclampsie à la fin de ma 1ère grossesse et une HELLP syndrome à la fin de mon accouchement (qui s’est déroulé dans des conditions idylliques soit dit en passant grâce à une sage femme et une auxiliaire très à l’écoute) et même si j’ai eu extrèmement peur, même si j’ai été en colère comme jamais contre un interne, même si c’était dur… Je ne remercierai jamais assez les sages femmes, médecins et gynéco qui m’ont suivi tout au long de ce parcours et sur lesquels j’ai pu m’appuyer avec une telle confiance qu’on se relance dans l’aventure malgré le risque et en sachant qu’autour de nous, une équipe s’active pour que tout se déroule pour le mieux et que si récidive il y a, elle puisse être gérée au plus tôt…

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