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Un équilibre précaire

Tout va bien. A peu de choses près. Tu suis ton train-train, t’as l’impression de gérer. Et puis un beau matin tu te connectes à Facebook et BIM! L’annonce de grossesse d’une copine te jaillit à la figure sans que tu n’aies rien demandé. Tu bois ton café, tu rallumes ton téléphone – et PAF! Un WhatsApp pour annoncer la naissance du bébé d’une vague cousine que tu n’as pas vue depuis trois ans. Tu checkes tes mails – une invitation à une baby shower. Tu relèves ton courrier – un faire-part de naissance.

Y’a des jours, comme ça, où t’as l’impression que le karma te fait un doigt d’honneur en chantant du Justin Bieber.

 

Keep calm, serre les dents, et respire un bon coup.

 

Comment gérer ces vagues d’annonces, ces journées « sans », ces tunnels sans fin où tout le monde semble pondre des gamins en claquant des doigts quand toi, tu n’en vois simplement pas le bout?

 

Déjà, en te disant que cette journée (et la suivante) elles vont passer. Elles ont eu un début (pénible), un milieu (relou), et elles auront une fin. Il y’a peu de chances que demain (ou après-demain) tu te coltines ENCORE de nouvelles annonces. Y’a un moment, y’aura tout simplement plus de place dans les utérus des femmes que tu côtoies. Je plaisante, mais tu comprends ce que je veux dire. <3

 

Ensuite, en gardant ton calme. En essayant de maintenir le côté yin face au côté yang. Quelque part, et tu en as conscience, tu te réjouis encore de ces annonces quand elles concernent des amies proches, des soeurs ou des collègues adorées. C’est un peu comme marcher sur un fil: au moindre coup de vent, tu tombes. Et c’est un équilibre extrêmement précaire: conserver l’amour que tu portes à tes proches, la réjouissance de ces moments sacrés. Mais respecter ta tristesse et ta colère. Parce que oui, ces sentiments méritent également ton respect, ton écoute. C’est normal d’avoir les boules quand on a l’impression que la terre entière est partie faire la fête et que ton invitation à toi, elle s’est égarée en chemin (connard de facteur – ou de cigogne, c’est selon).

 

Et puis, en se mettant à leur place, aussi. Ta cousine ne savait pas, en postant son annonce sur Instagram, que ta collègue allait faire péter le t-shirt « Baby on board » à la réunion de 15h, ni que Gala annoncerait la 12ème grossesse de Kate Middleton en flash info breaking news. 

Et puis… et puis peut-être que Kate elle enquille les fausse-couches entre deux grossesse. Peut-être que ta collègue sort de 4 ans de PMA. Que ta cousine souffre d’endométriose à un stade très avancé. Les réseaux sociaux ont ceci de pernicieux qu’on y annonce jamais vraiment la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. On a plutôt tendance à préférer les photos retouchées à coup d’applications quasi-magiques et  les selfies pris sous le bon angle – celui de trois-quart face menton levé en lumière naturelle avec eye-liner et filtre sépia. C’est super important de le garder en tête, sinon tu sombres.

 

Alors on en fait quoi, de la tristesse et de l’amertume, de la jalousie et du sentiment d’impuissance? On en fait quoi, de tout ça, quand tout se mélange les jours « sans »?

 

On s’écoute. On accueille. On accepte: je n’arrive pas à fonder la famille dont j’aurais toujours rêvé, et ça me rend folle de rage. Ou de chagrin. On accepte tout: les « j’aurais du m’y mettre plus tôt » et les « je suis morte de jalousie que les autres y arrivent ». Quand on a fait tout ça, on peut faire le tri. Prendre une pensée après l’autre, la traiter, la résoudre.

 

On se console: ce n’est pas de ma faute. Cela me prendra sans doute un peu plus de temps. Je sais que je suis capable de le faire. Ou alors le contraire: je ne peux pas/ ne peux plus avoir d’enfants, je sais que je parviendrai à l’accepter et à trouver un nouveau chemin de vie.

 

Et puis on fait le tri: on a le droit de ne pas avoir envie d’entendre les copines, les collègues et la famille se plaindre sans cesse de ne plus dormir la nuit « parce que Mathilde ne fait pas encore ses nuits, à 6 mois, tu te rends compte? ». Un jour, on en sera sans doute là, à nous plaindre nous aussi, quand tout ça – la PMA, le deuil périnatal, les années d’essais sans fin, en un mot:  la galère, ne sera plus qu’un lointain souvenir. Et qu’on aura oublié, ou presque, ce que cela nous faisait quand on y arrivait pas, quand on dormait encore, quand nos nuits n’étaient pas hachées par des cris de bébé mais par des questionnements sans fin.

En attendant, on donc le droit, pour ne pas dire le devoir, de fermer les écoutilles, de dire « non » et de dire « stop » face à certains discours. Parce que, quand les souffrances des une viennent heurter les souffrances des autres, la possibilité d’un dialogue apaisé est infime. « Tu ne peux pas dormir? Moi je ne peux pas avoir de bébé. On fait quoi? ». On ne fait rien, et on passe son chemin. On reprendra contact plus tard – ou pas. Mais on agresse pas les gens – ça ne soulagera rien, bien au contraire.

 

Donc oui, je sais que c’est difficile, en ce moment.

Tout ça – ces annonces, ces galères – c’est un équilibre précaire, mais ça ne signe pas la fin de tout. Ca ne résume pas non plus qui tu es, ce dont tu es capable. Tu es bien évidemment plus que des shots d’hormones injectées tous les soirs en cachette dans la salle de bain. Tu es bien évidemment plus que des mois ou des années d’attente et de galère. Tu es bien évidemment plus qu’un parcours que les non-initiés qualifieraient de « masochiste » ou de « sordide ». En ce moment, tu marches sur un fil, c’est vrai. Et si tu tombes? Et bien si tu tombes, souviens-toi que tu as toujours le choix de te relever. Oui, je sais: on dirait du Britney Spears (ou du Calogero). Mais parfois, même les paroles des chansons les plus niaises ont une part de vérité. Et oui: tu as toujours le choix du chemin que tu choisis de prendre: celui de la colère, ou celui de l’acceptation et de la bienveillance – à minima envers toi-même.

Donc on respire un bon coup. On va se coucher. Parce que ça ira forcément mieux demain. Coeur avec les doigts et surtout: prends soin de toi.

Cet article a 5 commentaires

  1. Weena

    Encore un article très vrai (j’ai beaucoup aimé la casse subtile à Justin Bieber)…
    Comme tu dis, je crois que le plus important, c’est d’accepté les émotions, toutes les émotions … parce que oui, tu peux être contente pour ta copine TOUT en crevant de jalousie que ce ne soit pas toi qui annonce ça … Et savoir se ménager est un exercice bien difficile dans une société qui minimise/invisibilise le deuil …

    1. Julie

      Oh que oui… parce qu’il faut en plus rester toujours égale à soi même, ne jamais craquer, ne jamais montrer le moindre signe de faiblesse, se réjouir en permanence… AU SECOURS! Blague à part, je pense en effet qu’il y’a de la place pour tous, dans le respect des parcours de chacun. Les quelques personnes que je connaissais qui ne voulaient jamais montrer que ça n’allait pas l’ont payé, soit en agressant la terre entière, soit en développant des conduites à risques. Moralité: si on ne les exprime pas, les émotions vous bouffent, donc mieux vaut apprendre à les accepter qu’à vouloir faire semblant à tout prix.

  2. Marie

    Un texte qui qui me parle énormément. C’est toujours comme un petit coup de poignard, l’annonce d’une grossesse…

  3. Anne-Laure

    Je ne suis qu’une lectrice de l’ombre, mais là j’ai décidé de passer dans la « lumière » car cet article me touche… Beaucoup de tes mots, auraient pu être les miens, j’ai ressenti cela, cette impression que le karma me faisait des doigts d’honneur, avec un grand sourire aux lèvres du genre « ah tu as vu, c’est son tour à elle hein…! »
    Je ne suis pas mère, ni en parcours PMA, ni en essai bébé. Non. Je suis une femme de 36 ans, célibataire et qui espère encore trouver un homme qui voudra bien se poser dans une vie stable et fonder une famille avec moi.
    Mais c’est dur. Les hommes qui ont pu entrer dans ma vie avaient l’envie mais c’est flippant de s’engager, alors non… Certes la vie d’adulte c’est loin de celle des Bisounours. On en bave, certains plus que d’autres… Et puis, il y a cette sensation d’être privée de notre part du gâteau. Certaines pondent à tire-larigot mais se foutent de leur progéniture et à côté il y a celles qui espèrent vivre ce rêve…
    Parfois, quand on m’a eu annoncé de jolies nouvelles, j’ai eu l’impression que mon ventre hurlait sa douleur d’être vide, mais il faut garder le sourire. Pour l’honneur, la bienséance, la politesse. Mais merde ! Et nos douleurs à nous ? Qui les entend ? Les comprend ? Limite on parait égoïstes de ressentir ça, mais on a bien le droit de souffrir et pas seulement en silence…
    Alors MERCI pour cet article, MERCI pour ces mots qui me font me sentir moins seule et qui me font ressentir que ma peine est normale mais surtout qu’elle est également légitime.

  4. Lulimi

    Merci pour cet article qui exprime tellement ce que je ressens en ce moment !
    Je suis en deuil perinatal depuis maintenant 2 mois et après environ 3 semaines de mieux-etre et d’acceptation jai limpression de replonger et d’être sur un fil duquel je peux tomber à tout moment…
    C’est dur, j’espère que ça passera mais plus le temps passe et plus j’ai l’impression que les hauts et bas vont continuer encore longtemps…
    Bon courage à toi !

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