Je suis adossée à ma fenêtre, pour une rare goulée d’air (presque) frais (on est à Paris, faut pas déconner non plus) (confinement ou pas, je pense que l’air est saturé de particules fines pour les 15 prochaines années).
Et je vois ce joggeur, là, qui semble ne se soucier de rien, qui respire, une-deux-une-deux, écouteurs vissés aux oreilles et foulée concentrée sur sa respiration. « Quel inconscient », je me dis, « il ne se rend vraiment pas compte ».
Mais le joggeur, lui, il se dit quoi?
« Ca me fait du bien de sortir de chez moi, l’exercice me manque vraiment. J’ai pris toutes mes précautions, je ne sors pas tous les jours, mais cette session d’exercice me fait un bien fou. Par contre, c’est fou le nombre de promeneurs du dimanche, ils ne se rendent pas compte! »
« Cette promenade, c’est ma bouffée d’air dans une semaine de confinement longue comme un jour sans pain. Alors oui, on est sortis avec mon mari et les enfants, mais on fait bien attention. On a besoin de prendre aussi un peu de temps en famille. Mais c’est vrai que ces gens qui papotent assis sur des bancs, ça interroge ».
« Moi, je ne peux plus vraiment marcher, pas trop longtemps. Et puis ça me fait du bien de discuter avec ma voisine, on ne se voit plus depuis un mois, et je me sens très seule. On fait bien attention, hein, on est séparées par le mètre de distance réglementaire – enfin, le mètre, on a pas mesuré, mais bon, on fait gaffe, vous voyez? Quand je pense à ces voisins qui ont partis en province dans leur maison de campagne, ils exagèrent. Moi je reste, mais je peux bien m’accorder ce petit plaisir. C’est si solitaire, le confinement, quand on vit sans mari ni enfant ».
« On est partis juste avant la grande annonce officielle, on avait senti le truc venir. On avait une maison de campagne, alors quoi? C’est plus risqué de venir ici que de rester à Paris? Mais on ne fera pas mieux, ni pire, ici qu’à Paris. On ne sort que pour faire nos courses, et on fait vraiment très attention. Pour le reste, les enfants ont un jardin pour prendre l’air – ils ne contamineront personne ici, et puis quoi? On allait quand même pas rester cloitrés chez nous à 5 dans un 60m2? Quand je pense qu’on nous pointe du doigt, alors qu’on voit toutes ces queues pour un simple Big Mac… de qui se moque t-on? ».
« On a pris la voiture, je peux pas dire qu’on est sortis prendre l’air, mais les enfants, ça leur fait tellement plaisir d’aller au Mc Do. Même si on ne reste pas sur place, même si on ne prend qu’à emporter. La sortie au Mc Do du weekend, elle était sacrée. Je ne dis pas que c’est indispensable, mais voir la lumière briller dans leurs yeux quand on leur a annoncé qu’on sortait acheter des Happy Meals, ça n’a pas de prix. Les pauvres, ils restent des enfants, confinement ou pas. J’espère juste que les employés seront bien protégés, je suis pas forcément fière de venir, mais si tout s’arrête, est-ce qu’ils auront seulement un emploi à la reprise »?
Et je juge le jogger qui juge le promeneur, qui juge cette vieille dame assise sur un banc, qui juge ses voisins partis à la campagne opportunément, qui ne comprennent pas ces scènes de queues improbables pour un simple Menu Best Of.
Voilà, les gens jugent, moi la première, mais au bout de plusieurs semaines de confinement les articles, publications en tout genre qui pointent du doigt l’autre sans comprendre ni compatir, me fatiguent. Toutes ces injonctions à la sauce « moi au moins je… »
Je ne suis pas certaines que, dans cette histoire de confinement, nous soyons tous et toutes absolument irréprochables.
J’ai fait du shopping en ligne après ma fausse-couche, je suis:
A) une parisienne d’une futilité sans nom?
B) une vilaine capitaliste qui ne pense qu’à elle?
C) une femme en pleine dépression qui se fiche des consignes de sécurité?
Rien de tout cela, en fait.
(Réponse D: une nana qui n’avait plus rien à se mettre à sa taille après une fausse-couche tardive. Une nana qui avait aussi besoin d’une petite réparation narcissique dans la foulée. Voilà, offrez-moi des fleurs ou jetez-moi au pilori si vous le souhaitez – je vous laisse débattre entre vous de ce que je mérite le plus).
Et je pense que à l’échelle collective, nous ne sommes ni plus égoïstes, ni plus insouciants que les autres. Que nous sommes tous amenés, à notre échelle, à faire des micro choix individuels, qui cumulés les uns aux autres rendent parfois une mauvaise image de nous, français ô combien indisciplinés et bravaches (coucou les parisiens). Et oui, ces micro-choix sont le lit de belles conneries aussi, parfois. Et oui, il y’a des actions de bêtise pure, mais globalement quand je discute avec mon entourage (par téléphone) (je vous vois venir), je me rends compte aussi que personne, à son échelle individuelle n’a l’impression d’être le mauvais élève de l’histoire. Qu’il n’y a jamais non plus tout à fait de mauvaises intentions.
Est-ce que cela excuse tout, est-ce que cela suffit à justifier la saturation des lits en service de réa? Absolument pas. Est-ce que nous devons pour autant nous autoriser à devenir juges de la bonne moralité de nos voisins? Encore moins.
J’aimerais vous dire, la main sur le coeur et le regard fier, que jamais ô grand jamais nous ne serions partis dans notre résidence secondaire avec jardin si nous en avions eu une. La vérité, c’est que je n’en sais fichtrement rien. Nous sommes restés à Paris parce que nous n’avions pas de Plan B. C’est aussi stupide que ça.
Donc oui moi aussi, je juge, quand je vois les badauds se presser dans la rue en bas de chez moi lorsqu’un rayon de soleil pointe le bout de son nez. Et puis je me souviens de ce que je vois passer, à longueur de journée, dans la presse et sur les réseaux sociaux, et je réalise que je ne suis pas en train de faire mieux.
Je ne vais pas vous dire de vous aimer les uns les autres, bordel de chiotte. Mais vous savez que je n’aime pas le noir et blanc, que je pense qu’il n’ya pas non plus de bons, ni de mauvais élèves, et que les assertions à la mode « moi, au moins… » me gonflent.
Toi, en fait, tu ne sais pas. C’est aussi bête que ça.
Bref, vivement le 11 mai, qu’on en finisse (en partie) avec ce pointage de doigt généralisé.
Et les maires qui encouragent la délation ….. +1 chacun fait ses propres efforts dans sa mesure du possible et du supportable.
Ps : je pense que ça s’écrit juge et partis 😉
Alors j’ai vérifié, c’est bien partie. J’ai eu un doute aussi! ^^
Je suis tout à fait d’accord…jusqu’à ta conclusion. Parce que j’ai bien peur que ce soit encore pire après notamment entre les « nantis » qui gardent leurs enfants à la maison et les « irresponsables » qui les mettent à l’école (ou inversement)
J’ai l’impression que nous allons tous être un peu confrontés au même problème pour le retour à l’école (enfin je pense que les différences sociales vont beaucoup se gommer sur cet aspect là, mais je me trompe peut-être). Les cadres dynamiques vont être mis sous pression pour revenir sur leurs lieux de travail dés que possible après plusieurs mois à télétravailler, et je ne suis pas certaine que les demandes de télétravail pour garde d’enfant soient encore acceptées passé le déconfinement. Cela va sans doute dépendre du manager, mais je sais d’office par exemple que mon mari n’aura pas le choix.
Merci Julie. Je pense chacun de tes mots.
Merci. 🙂