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Devenir mère malgré (et avec) le deuil périnatal

Je me faisais dernièrement la réflexion que mon parcours maternité aura été pour le moins chaotique (rappel des épisodes précédents: 2 IMG et une fausse-couche tardive), mais qu’il aura eu au moins un mérite: celui de me faire devenir mère.

Alors je sais ce que vous allez me dire: « enfin Julie, bien sur que tu es mère. Tu as ta petite Kate à la maison! ». Kate, 4 ans et demi, toute ses dents et une énergie exceptionnellement louche qui semble tout droit sortie d’un rail de coke – faut qu’on m’explique comment font les enfants pour être opérationnel à 100% à la seconde même de leur réveil. Y’a un truc, c’est pas possible.

Et donc, certes, je suis la maman de Kate, à n’en pas douter (si ce n’est qu’elle a les cheveux qui virent au roux, qu’elle sera visiblement très grande et très fine, et qu’elle ressemblait à une petite vietnamienne à la naissance – 9 mois à vomir mes tripes pour qu’elle devienne le portrait craché de son papa, ça fout les boules, mais passons).

Mais la vérité, c’est que je me suis sentie devenue mère dés mon premier accouchement. Autrement dit: dés ma 1ère IMG.

 

Beaucoup de copines m’ont décrit à quel point le fait de devenir mères (d’enfants nés vivants) avait été un tel bouleversement. A quel point leurs repères tout entiers avaient été chamboulés, à quel point tout ce qu’elle avaient alors toujours pris pour acquis s’était, du jour au lendemain, retrouvés entièrement remis en question. A quel point leur identité avait été transformée, au point de se sentir devenir autre après donné naissance à leur premier enfant.

 

Je me suis longtemps interrogée sur ce concept (je vous invite d’ailleurs à aller écouter les excellents épisodes du Podcast la Matrescence, qui aborde avec une grande justesse ce concept). Pourquoi une telle transformation chez mes amies quand, de mon côté, je n’avais pas le plus petit souvenir d’une éventuelle remise en question à la naissance de Kate?

La naissance de Kate, elle a été facile, limpide: une évidence. J’en suis d’ailleurs extrêmement nostalgique, aujourd’hui. Aux orties, tous mes préjugés! A la poubelle, tous mes livres sur la maternité (désolée Filliozat, je ne t’aime plus et je te quitte)! Je m’étais sentie insolemment à l’aise dans mon rôle de mère – moi qui, pendant des années, clamais haut et fort que je ne voulais pas d’enfants. Moi qui n’avais pas eu de mère pour m’élever.

Alors elle était où l’arnaque?

Ce n’est qu’il y’a quelques jours seulement que j’ai enfin compris (je suis lente, des fois, c’est pour ça). Ma naissance en tant que mère, ma matrescence à moi, elle n’a pas eu lieu à la naissance de Kate – enfin, en partie, bien évidemment. Mais le gros du boulot avait été fait lors de ma 1ère IMG.

Et c’est vrai que, quand on réfléchit deux minutes au truc, on comprend de quoi je veux parler. Je l’ai toujours dit, pourtant, je suis devenue mère lors de cette première « non-naissance », lors de cette première expérience cruelle et et absolument déchirante de la maternité. Mais je crois que jusqu’à présent, je n’avais pas réalisé à quel point j’avais pu être transformée par cette expérience. A quel point Maya, ma première fille, a pu baliser le terrain pour le reste de mon parcours (pas toujours très joyeux, certes) en maternité. A quel point je n’aurais pas été la mère de Kate si je n’avais pas été la mère de Maya juste avant – même pour quelques instants.

 

Le simple fait d’avoir eu à prendre la décision terrible, irrévocable, de l’interruption Médicale de Grossesse m’a fait entrer de plein fouet dans mon rôle de mère: si l’acte en lui même a été le premier et le dernier (l’unique, en soi) moment de mon entrée en maternité, il a néanmoins eu le mérite d’exister. Il n’empêche: je crois qu’il n’ya pas de décision plus radicale, plus terrible à prendre, que celle de devoir décider de quelle façon on souhaite que son enfant décède. Soins palliatifs ou IMG? Vous reprendrez bien  un peu de peste et de choléra avec tout ça?

Et puis cette multitude de micro décisions à prendre, au milieu de tout ça… funérailles privées ou crémation collective? On prend des photos? On accepte de la prendre dans nos bras avant de lui dire définitivement au revoir? On l’inscrit au livret de famille? Et pour le prénom? On choisit quoi?

 

Toutes ces informations à assimiler en si peu de temps, tous ces choix à faire, en quelques jours – quelques heures à peine, souvent- qui nous vrillent le cerveau et nous laissent une peur bleue – celui d’avoir des regrets, celui de mal faire... pourtant, comme je l’écrivais dernièrement sur mon compte à nos étoiles, ces choix que nous devons faire dans l’urgence avec la trouille au ventre de tout foirer, eh bien c’est exactement ce que font l’intégralité des parents du monde entier (sauf que eux se poseront ces questions différemment: petits pots ou DME? Allaitement ou biberon? Mais – n’en doutez pas – chaque parent au monde redoute de faire la connerie de trop – celle faite avec la meilleure volonté du monde, mais qui viendrait tout flinguer sur son passage).

Et nous, parents endeuillés, devons également vivre ça. Vivre avec ça, une fois que tout est fini et qu’il n’ya plus de retour en arrière possible.

Il ne se passe pas une semaine sans qu’un parent ne m’écrive qu’il regrette de ne pas avoir pris son bébé dans ses bras pour un dernier au revoir. Qu’il regrette de ne pas avoir pris de photo/ organisé de funérailles privées/ décidé de l’inscription au livret de famille.

Alors amis parents endeuillés, j’ai juste envie de vous rassurer: oui, vous êtes devenus parents. Vous avez, comme tous les parents du monde, fait de votre mieux. Vous avez parfois des regrets sur la façon dont les choses se sont déroulées, sur ce que vous pensez que vous auriez du faire à un instant T – comme tous les parents du monde.

Et je trouve cela intéressant, et au final, immensément rassurant, de se dire que ce parcours en maternité, aussi cruel soit-il, n’est pas vain: oui, il laissera son empreinte en vous. Il transformera votre expérience de la maternité (de la parentalité, au sens le plus large) et si vous en ressentez le besoin un jour, si vous avez l’envie et la chance de pouvoir le faire, il fera de vous des parents incontestablement différents de ce que vous auriez été sans tout cela. C’est ainsi que votre bébé disparu s’inscrira dans sa fratrie. C’est aussi ainsi que vous naitrez en tant que parents – en particulier si ce deuil périnatal était votre toute première expérience de la maternité.

 

Bref, take care, et tentez de vous déculpabiliser sur ce que vous ressentez, sur votre culpabilité, et sur ces questions qui (je le sais) vous envahissent parfois malgré vous. Suis-je devenue mère? Suis-je légitime à me définir comme maman (ou comme papa, si certains hommes trainent par ici)? Oui, incontestablement, n’en doutez pas une seule seconde.

Cet article a 13 commentaires

  1. Agathe

    Merci pour cet article.
    Depuis le décès de mon fils en novembre dernier j’ai senti un gros changement en moi. Ce qui m’animait avant ne m’anime plus, ou plus autant. Et quand j’ai écouté le podcast de la Matrescence j’ai compris. Malgré les circonstances je vis cette mastrescence, je suis en plein dedans ! Mon conjoint et moi avons dû faire des choix concernant notre fils. Certains que l’on regrette d’autres non. Mais on les as fait en tant que parent et ça nous a définitivement changés. Les parents d’enfants vivants ont parfois du mal à le comprendre mais peu importe du moment qu’on le comprend nous meme !
    Merci de partager ton histoire

    1. Julie

      Bien d’accord <3

  2. eyhpos

    Très joli article. Pour ma part, IMG pour mon deuxième enfant. Je ne me suis donc jamais posé la question puisque déjà mère de ma fille depuis 3 ans. Par contre cela m a changé. Cela m a marqué. J ai ensuite eu un troisième enfabt. Et j ai toujours un pincement au cœur quand on me dit que j ai 2 enfants. Je suis mère de 3 enfants.

    1. Julie

      ah oui, le fameux « et toi, t’as combien d’enfants? »… un tiraillement suivi d’une courte hésitation chez moi, même après 6 ans. C’est fou comme une question aussi « simple » peut devenir aussi complexe pour beaucoup de parents. <3

  3. Papange

    A quelques semaines (jours?) de redevenir papa, cet article résonne très juste par rapport à ce que je peux ressentir. Merci de mettre des mots sur tous ces sentiments contradictoires si complexe à comprendre pour soi-même et alors impossible à expliquer aux autres…

  4. Virg

    Je n’ai pas connu le deuil périnatal mais je suis assez bien l’idée. Effectivement, quand on doit prendre ce genre de décision, on le fait en tant que parent, donc on est de fait des parents. Avec la culpabilité et les doutes qui vont avec. La parentalité est faites de choix, de décision prise à l’instant t, avec les connaissances, les émotions etc de l’instant t. Toutes heureusement n’ont pas la mort pour conséquence, et celle de l’IMG est sans doute la plus douloureuse à prendre.

  5. Lulu

    Ah les regrets et les choix… il a fallu choisir entre enterrement et crémation pour notre petit C. décédé à l’âge de 2 mois. Avec toute l’horreur de ces moments, nous nous sommes dits que l’enterrement permettrait de laisser du répit à son petit corps qui avait subi tous ces soins médicaux. Je voulais un endroit pour se recueillir, une trace laissée. 4 ans plus tard, à chaque fois qu’on projette de changer de région, j’arrête net mes pensées en me disant que j’aurais la sensation d’abandonner mon 1er bébé, que je ne peux pas partir. J’ai 32 ans, je resterai donc toujours dans la même région ? Pas de bonne réponse ni de bonne solution mais beaucoup de douleur et de sentiments entremêlés.
    Merci à toi d’écrire ces articles et de faire vivre  » à nos étoiles », je me sens moins seule à ressentir tout ça. Ici, il n’y a pas de jugement ou de tentative de trouver du positif dans ces vécus douloureux. Et ça fait du bien…

    1. Julie

      Je comprends à quel point ce choix doit vous tirailler… il est peut-être encore un peu tôt, pour prendre une telle décision. <3

      Pour le reste, disons que j'essaie de valoriser le positif, sans nier le négatif. Bref, de pratiquer une forme d'écoute bienveillante pour toutes les histoires (rien de plus agaçant que les injonctions à aller bien et à voir la vie en rose quand ton monde s'écroule. Parfois, il faut simplement écouter ce que l'autre a à dire, même si c'est "négatif").

  6. Marine R.

    Depuis tout ce temps que je te suis, je ne me souviens pas avoir déjà lu le prénom de ta première fille. C’est son vrai prénom ? Sinon, je comprends complètement le sens de ton article, en effet vous avez eu à faire des choix de parents. C’est forcément que vous en êtes. J’espère que tu te remets doucement.

    1. Julie

      Oui, elle s’appelait bien Maya (par contre Kate ne s’appelle pas vraiment Kate, mais laissons lui un peu d’anonymat ^^). 🙂

      1. Marine R.

        Oui, je savais pour Kate (Rapport à ta grossesse en même temps que Kate Middleton c’est ça ?) . Je suis toujours très touchée par tes articles.

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