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C’est quand le bonheur?

Je me souviens de cette chanson de Cali, qui passait en boucle à la radio quand j’étais étudiante – et je me faisais la réflexion dernièrement que j’aurais dû, normalement, me poser cette question également. Mais que je ne me sentais absolument pas concernée.

J’ai bien conscience, quand je vous raconte mes histoires de PMA à l’étranger qui foirent de partout et de deuil périnatal, que vous devez me prendre pour un véritable chat noir.

Le truc, c’est que je ne ressens absolument pas les choses de cette façon. J’ai beaucoup de mal à raisonner en terme de « chance » et de « malchance », et je pense sincèrement que, si on considère les événements qui jalonnent la vie de cette façon-là, on est bien plus susceptible d’être fondamentalement malheureux. Comprenez bien que oui , je me rends compte que certaines personnes cumulent plus d’emmerdes que les autres.  Et peut-être bien que je fais partie de cet échantillon très particulier de la population qui marche systématiquement dans des merdes de chien quand elle met met un pied dehors (ou alors c’est parce que j’habite à Paris, allez savoir). J’ai aussi conscience que mes emmerdes à moi demeurent fondamentalement moins graves, et moins sérieuses que beaucoup, beaucoup d’autres personnes (certains de mes proches sont en détresse sincère, et je ne sais moi-même pas toujours très bien comment les aider).

C’est juste que j’ai du mal à me considérer comme purement malchanceuse, malgré nos drames récents.

Je ne dis pas que tout me réussit, que je suis une grosse winneuse, ni que je n’ai aucune difficulté personnelle ou professionnelle (vous savez aussi bien que moi que c’est parfaitement faux). Je ne vois juste pas ces difficultés comme des obstacles au bonheur, du moins pas comme des obstacles majeurs. Parce que la vie c’est les emmerdes, les cris, les remous, le bordel, l’imprévu qui te tombe dessus. La vie, ce sont des opportunités qui se créent, des fenêtres qui se ferment, des combats à mener, pour soi ou pour les autres, des choix à faire nécessairement. Il y’a aussi la question de la temporalité – je fais partie de ces gens qui pensent qu’on ne peut pas tout avoir en même temps, quand on le demande. Je sais que cela fait tâche de raisonner comme ça, à une époque où il est usuel d’exiger pour obtenir. Où tout se mesure à l’échelle du succès professionnel et du nombre d’enfants qu’on aligne dans les cadres photos apposés sur son bureau. Il suffit de se balader sur LinkedIn pour s’en rendre compte : la moindre anecdote personnelle est utilisée en récit de « win attitude » et de développement personnel (« mon stagiaire a renversé ma tasse de café ce matin mais je l’ai encouragé à recommencer, parce que l’échec fait partie de la réussite –  #nevergiveup»). Je caricature, mais je pense que vous comprenez où je veux en venir.

Il y’a cette prière de la sérénité, récitée dans les réunions  d’AA, que je trouve extrêmement juste: « Dieu, donne-nous la grâce d’accepter avec sérénité les choses qui ne peuvent être changées, le courage de changer celles qui devraient l’être, et la sagesse de les distinguer l’une de l’autre ». Que l’on soit croyant ou pas, victime d’addictions ou non, cette prière parle de – et à – chacun, au final.

Je discutais de tout cela avec une amie dernièrement (qui connait également quelques difficultés maternelles majeures), et nous en étions arrivées à la conclusion que, ni l’une ni l’autre, malgré nos problèmes et le stress, le chagrin, la peur aussi parfois,  ne regrettions notre parcours. Que ni l’une ni l’autre ne souhaiterions revenir en arrière. Si Harry Potter débarquait demain à l’improviste et me proposait d’utiliser son retourneur de temps, pour revenir à cette nouvelle année fatidique 2014, où je suis tombée enceinte de ma première fille, et bien je le refuserais. Refuser ce qui m’est arrivé, ce serait refuser la personne que je suis devenue, renier mes filles – que j’ai aimées, sincèrement profondément – rejeter le combat que je mène aujourd’hui via mes différentes actions sur les réseaux sociaux ou ailleurs.

Alors voila : j’ai accepté ce qui ne pouvait être changé – mes IMG, ma maladie inconnue. J’essaie de changer ce qui peut l’être – avoir recours au don de gamètes, sensibiliser sur le deuil périnatal.  Pour le reste, je profite sincèrement de ce que j’ai –raison pour laquelle, sans doute, je n’ai toujours pas renvoyé les papiers à la clinique de Barcelone pour lancer la recherche de donneuse. Raison pour laquelle je savoure le fait de pouvoir gâter ma chère Kate, la couvrir de robes aussi inutiles que déraisonnables, de pouvoir me rendre disponible (relativement) facilement pour elle. De ne me consacrer « que » à elle, d’avoir ce luxe là à lui offrir – à défaut d’un frère ou d’une sœur.

Et finalement, cet équilibre retrouvé avec elle, avec son papa, me convient plutôt bien. Alors oui, nous ne perdons pas notre objectif de vue (agrandir la famille), mais il n’y a plus d’urgence, plus de pression au bonheur. Et c’est peut-être en arrêtant de lui courir après sans cesse, à ce fichu bonheur, que nous pourrons mieux savourer ce que nous avons déjà.

Cet article a 4 commentaires

  1. Virg

    Cette bule du « je savoure ce que j’ai à cet instant » m’est assez familière. J’ai connu des deuils successifs (je me réjouis de ne pas avoir à ajouter périnateux) qui m’ont fait prendre ce chemin du « allez go, tant pis si on se plante » ou de savourer cette dernière belle journée d’automne dans le jardin, ce luxe de pouvoir laisser jouer ma fille les mains dans la terre quand il fait encore jour, sous l’oeil curieux de nos chats et, blasé, de notre chien. Parce que ça veut dire que j’ai eu la possibilité d’aller la chercher plus tôt et d’éviter de ne la récupérer que pour le « tunnel » 18h à 20h.
    En revanche, il m’arrive d’être parfaitement découragée, par cette banque qui fait tout pour ralentir le dossier, par ces proprios qui ne font aucun effort pour pallier les soucis rencontrés dans leur appart (on parle pourtant de choses inhérentes à la bâtisse), par tous ces freins qui ne devraient pas exister si les gens faisaient tout simplement leur boulot (je n’arrive pas à comprendre ces pros qui attendent d’être relancés 100 fois par des clients qui finissent par être franchement excédés), en fait par toutes ces actions externes qui ne sont pas dans nos mains et qui pourtant impactent nos vies.
    Alors, oui, profitons du moment présent mais, parfois, j’aimerais juste que les choses se passent comme prévu, surtout quand on prépare tout bien en amont justement pour éviter les couacs.

    1. Urbanie

      Je suis bien d’accord: ça n’évite pas pour autant les frustrations en tout genre et les mauvaises journées. 🙂
      C’est plus une philosophie de vie générale, une envie d’arrêter la course pour cocher à tout prix toutes les cases au bon moment. Ca ne me fait cependant pas aimer plus mon prochain dans le métro. ^^

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