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Le bruit et la fureur: comment gérer sa colère pendant le travail de deuil

La colère a mauvaise presse de nos jours: on nous enjoint constamment à garder notre calme en toutes circonstances, à ressentir de la gratitude et de la bienveillance envers la terre entière.  Sur la Planète Bisounours, avoir la rage n’a pas bonne presse. La colère? Au placard! On veut de la dignité, du sang-froid en veux-tu, en voilà, de la mesure et de la hauteur d’esprit.

Et oui, bien évidemment, ces recommandations sont plutôt saines en soi.

La colère est pourtant un sentiment absolument inévitable, surtout en cas de drame: elle devient une étape logique, fondatrice du parcours de deuil. Il est même vital de la ressentir. Etre en colère, c’est aussi sortir de sa torpeur, ressentir de nouvelles émotions après la sensation d’avoir été totalement anesthésiée. Bien utilisée, la colère est un moteur extrêmement puissant, capable de nous réinscrire dans la vie.

Pourtant, la colère est un sentiment destructeur. Bouillonnant, incontrôlable, détestable, même.

Face à ce raz-de-marée que nous sommes nombreux-ses à ressentir, je me suis dit que ce serait pas mal qu’on partage entre nous les astuces qui nous aident à avancer dans le chemin de deuil, tout en gérant nos moments de « grrr ».  Deux d’entre vous, Yannick et Julie, ont très gentiment accepté de me raconter comment ils vivaient leur colère, vous retrouverez leurs conseils et remarques tout au long de ce long billet.

On ne va pas faire court aujourd’hui, je pense que le sujet est beaucoup trop complexe pour qu’on élude.

Et rassurez-vous: si la question de la colère dans le cadre d’un deuil périnatal n’est pas votre tasse de thé, nous aborderons des sujets bien plus légers une prochaine fois.

 

J’ai appris à accueillir mes émotions négatives

Dans tout travail de deuil, il est absolument indispensable d’accueillir ses émotions. Toutes ses émotions, même les moins avouables.

Sauf que ce n’est pas toujours si facile qu’il n’y parait: entre mes propres injonctions (« ne pense pas comme ça »), celles de mes proches (« il faut tourner la page »), accepter de ressentir ma propre colère a parfois été un apprentissage compliqué. Parce que moi, avant, je n’étais pas en colère (ou si peu).

Pour moi, être en colère, c’était donc risquer de devenir cette nana aigrie à qui plus personne ne veut parler.

Sans parler de la honte que je pouvais ressentir parfois face à mes propres contradictions: oui, je suis jalouse de cette femme qui vient d’accoucher… et piteuse d’oser ressentir ça. Vous reprendrez bien un peu de colère?

Pourtant, est-ce qu’être en colère (ou jalouse, tiens) fait de moi une mauvaise personne? Non, absolument pas: j’ai le « droit » d’être envieuse de cette femme enceinte – je ne suis pas obligée de l’agresser pour autant (c’est bien ce qui fait toute la différence).

 

Yannick me confiait n’avoir jamais été particulièrement colérique avant le décès de Gabriel, son fils. « Mes crises de colères sont vraiment en mode post-traumatique depuis la mort de Gabriel. Une même situation, par exemple, lire un article sur le terrorisme, ne provoquait aucune réponse émotionnelle en moi avant de vivre tout ça. Et maintenant, ça devient quelque chose d’insupportable. Je me mords les lèvres, je sens mes tripes qui se retournent. »

Parfois, le deuil aide au contraire à apaiser un sentiment de colère pré-existant. Julie m’expliquait ainsi: « Avant le décès de Léo et Enzo je me mettais assez souvent en colère et facilement pour des choses qui me paraissent bien futiles à présent. Leur perte a changé ma façon de voir les choses disons que je les vois sous un angle différent aujourd’hui. Je m’énerve beaucoup moins aujourd’hui par rapport à avant. La vie même si elle m’a réservé une épreuve terriblement douloureuse me parait malgré tout plus légère« .

 

 

J’essaie de comprendre ce qui déclenche ma colère…

Dans le travail de deuil, il peut suffire d’une étincelle, d’un rien, d’un geste pour allumer le feu déclencher les hostilités (désolée pour la blague, je ne résiste pas) (#Johnny).

Irrationel? Pas tant que ça, non. On est tellement à fleur de peau que certains jours, la colère a besoin de sortir, même pour de petites « broutilles » . Ce que me confiait Yanick: « Je pense que le fait d’être confronté à la mort injuste de mon fils a développé en moi des réactions épidermiques face aux personnes qui ne respectent pas la vie« .

De mon côté, j’ai très vite remarqué que la colère prenait racine dans les comportements totalement inappropriés des gens, proches ou moins proches. Si j’ai toujours préféré les maladresses au silence, il faut dire qu’écrire sur un blog m’a également énormément exposée, ce qui a engendré son lot de merveilleuses rencontres, mais aussi de comportements parfois compliqués, voire malveillants.

Je me suis également rendue compte que ma colère me servait également à solder d’anciens traumatismes, à régler mes comptes une bonne fois pour toutes avec certains évènements du passé. Un peu comme si mon deuil avait fait remonter de vieilles rancunes à la surface. Si le procédé est super déstabilisant sur le moment, il m’a permis d’avancer malgré tout dans ma vie privée. Je n’ai tout simplement plus l’énergie de gérer ce qui m’engluait dans ma vie d’avant, donc je fais le solde de tout compte. C’est juste une question de survie, comme dirait l’autre.

 

… et de l’éviter

Alors oui, bien évidemment, il s’agit de l’astuce la plus évidente. Essayer d’éviter les stimulis négatifs ne peut faire que du bien.

Yannick me confiait: « Ma technique numéro 1 est d’agir sur les causes : tout faire pour éviter de se retrouver confronté à une situation qui peut générer de la colère. Je ne lis plus l’actualité, je ne regarde plus de reportages sur des sujets sensibles, je fais un tri rigoureux dans mes fils d’actu des réseaux sociaux, je ne lis pas les commentaires ou les forums sur internet…« .

Je ne peux plus, de mon côté, lire de romans sur des tragédies, des femmes battues et maltraitées, les enfants en souffrance (en dehors de témoignages de parents). Je crois que mon niveau de saturation est encore trop élevé pour cela, alors je me laisse le temps. Je suis devenue la championne des comédies romantiques sur Netflix et des chansons pop (un peu trop) légères (je reviendrai à des oeuvres plus « marquées » quand je serai prête).

Drastique, mais pas toujours suffisant.

 

J’ai appris à déposer ma colère (dans un lieu sur)

La colère, c’est une émotion assez paradoxale: contrairement au sentiment dépressif, qui peut se vivre seul enfermé chez soi (merci Netflix), la colère a plutôt tendance à se vivre au travers des autres. C’est bien ce qui me faisait aussi peur, d’ailleurs – on en revient à la vieille aigrie dont je vous parlais plus haut.

Et là, pour ne pas retourner cette colère contre autrui, chacun ses outils!

Yannick m’expliquait ainsi avoir recours à des techniques douces: « je teste en ce moment : la sophrologie (techniques de respiration), les exercices quotidiens de méditation, le sport (de temps en temps un peu d’escalade pour évacuer l’abondance d’énergie)« .

Pour Julie, la planche de salut se trouve en partie dans la musique: « La musique m’aide beaucoup à me canaliser: avant j’écoutais beaucoup Lana Del Rey pour me calmer et aujourd’hui dès que j’en ressens le besoin je l’écoute et j’arrive bien souvent à m’apaiser de cette façon. Ce qui pourrait être étrange puisqu’après l’accouchement des jumeaux Mickaël a mis du Lana Del Rey comme musique. Elle nous a accompagné durant les 1ers instants qui ont suivi la naissance et aussi la mort de nos 2 premiers enfants.. »

Mais j’ai l’impression que le plus efficace, ça reste encore d’apprendre à désamorcer les crises quand elles surviennent… et à déculpabiliser. Vous êtes en deuil, en train d’abattre un travail absolument colossal pour vous remettre sur pieds. Vous ne pouvez pas tout contrôler.

Yannick de me confirmer: »Ce qui m’a le plus aidé, c’est de prendre conscience et d’admettre que mon cerveau avait une réponse émotionnelle disproportionnée face à ces situations. J’ai travaillé un peu avec une neuropsy qui m’a confronté à la réalité du fonctionnement de mon cerveau(…) Quand la colère monte, j’ai des « pensées réflexe » et je me dis « Ok, je suis en train d’avoir une crise, ce n’est pas ma faute, il faut que j’apprenne à la contrôler, je démarre tout de suite un contrôle de ma respiration. »

Autre piste: trouver des personnes de confiance, en qui vous vous pouvez « déposer » (j’ai bien dit déposer: dans le sens « vous confier », pas attaquer!) votre trop plein de colère, est également une excellente solution. C’est ce qui m’est arrivé dernièrement: je me sentais seule, incomprise. J’ai exprimé mon sentiment de solitude auprès d’une amie, j’ai été entendue, consolée. La colère? Elle s’est fait la malle dans les 24 heures, comme elle était venue… (Pauline, si tu me lis… <3). Parfois, il suffit juste d’une épaule de confiance sur laquelle pleurer, ni plus, ni moins.

 

 

La gratitude

La gratitude, c’est l’antithèse de la colère, c’est également une arme surpuissante pour désamorcer ce qui bouillonne en soi.

Le problème de la colère, c’est qu’elle est vicieuse: elle me pousse à ne voir que ce qui ne va pas pour mieux s’en nourrir. J’ai remarqué que, plus je suis en colère, plus j’ai l’impression de tout rater dans ma vie, de ne voir que le négatif. C’est en cela qu’exprimer de la gratitude pour le reste m’est salutaire. La gratitude m’aide tout simplement à repousser la colère quand elle essaie de poser ses cartons et de refaire la peinture dans mon cerveau.

Alors petit warning malgré tout: on lit souvent sur les sites de développement personnels que le chaos peut réimprimer un mouvement positif et un sens nouveau dans sa vie. C’est vrai, bien évidemment, mais 1) tout ne peut pas toujours devenir quelque chose de positif (mon bébé est mort, et rien ne pourra changer cet état de fait – en revanche, ma réaction à cet événement peut s’inscrire dans une démarche de reconstruction positive – faire du bénévolat, par exemple) et 2) on ne peut porter ce regard sur les choses qu’après avoir effectué une sacrée traversée du deuil. C’est compliqué de ressentir de la gratitude pour la vie quand on vient tout juste de perdre son bébé. Il faut du temps. Beaucoup de temps.

Plutôt que de vouloir exprimer de la gratitude pour la vie en général (c’est sans doute beaucoup trop tôt), vous pouvez commencer par de petites choses: pour cette infirmière à l’hôpital qui a posé une main sur la vôtre, pour ce collègue qui n’a pas détourné le regard à votre retour de congé mat, pour le soutien que votre conjoint vous apporte chaque jour. C’est un peu comme une rééducation du cerveau. Et plus tard, beaucoup plus tard: vous pourrez retrouver du sens à ce qui n’en a plus.

 

La colère face aux personnes toxiques

Il arrive que la colère résulte du comportement toxiques de personnes qui le sont tout autant. Parfois, ces personnes sont malveillantes, mais il arrive aussi que les personnes toxiques n’aient aucune conscience des conséquences de leurs actions. Quoi qu’il en soit, la colère qui résulte d’une action nocive n’est pas une colère constructive, inhérente au processus de résilience. C’est une colère externe, qui n’arrange pas forcément vos affaires. La bonne nouvelle, c’est que cette colère, le plus souvent, reste temporaire. La mauvaise, c’est qu’il faut malgré tout réussir à la gérer quand elle survient.

Si je me suis retrouvée parfois dans des situations sociales absolument aberrantes (dont je parle d’ailleurs dans le podcast Mortel), j’ai également vécu d’autres comportements bien plus violents.

Malheureusement, ce qui vous arrive ne rendra pas la vie moins âpre, ni les autres moins odieux.

Le seul conseil que je recommande,  c’est de partir et d’éviter au maximum les personnes qui s’en prennent à vous à ce moment là. Yannick me confirmait également de son côté: « Pour être franc, pendant la phase « aiguë » du deuil, j’étais incapable de gérer les personnes toxiques. C’est tellement difficile de gérer ce flux d’émotions que la fuite était la seule solution. »

Il est également possible de tenter de « faire fuir » ces personnes, si l’on s’en sent capable: c’est ce que nous raconte Julie: « Une collègue de travail s’était amusée à raconter les détails de ce qui m’était arrivé à nos résidents (je suis aide-soignante en maison de retraite). Le travail, qui me faisait d’abord beaucoup de bien pour éviter de trop penser, est finalement devenu le pire endroit pour moi. J’ai été jusqu’à lire un texte de loi sur le respect de la vie privée pour expliquer à mes collègues que j’étais en droit d’aller déposer une plainte et que la personne concernée risquait une amende voir de la prison. Du jour au lendemain je n’ai plus rien entendu… ». 

Mais, confrontés à cette pollution qui vient de l’extérieur, la colère ne s’apaise pas pour autant: Yannick me confiait très justement que « Face à ces gens, très souvent, on s’efface pendant l’incident, puis la colère nous tourmente pendant des semaines, voire des mois. On s’imagine en train de leur balancer leurs 4 vérités. On y pense toute la journée et on rêve la nuit. C’est un tourment qui a beaucoup beaucoup de mal à s’apaiser. »

Compliqué, donc.

J’ai décidé de tirer quelque chose de positif de tout cela, puisque c’est en vérité ce qui m’a amenée, quelques temps plus tard, à postuler chez Petite Emilie pour devenir bénévole, puis à lancer le compte Instagram A Nos Etoiles. Ma colère, une fois passée, l’énergie qu’elle me confère, je la ré-investis autrement.  Je crois que, quelque part, j’ai essayé d’inverser le processus de la colère, pour reprendre le dessus. On en revient à la gratitude dont je vous parlais plus haut.

Voilà pour ce (très long) billet: si vous avez d’autres conseils à partager dans les commentaires, n’hésitez pas: ils seront nécessairement utiles à d’autres.

Cet article a 3 commentaires

  1. Lulu

    Merci.
    On n’a pas toujours les solutions face à tout ça mais ça fait du bien de lire ces mots, de se reconnaître dans ce que les autres décrivent.

  2. Anaïs

    Cet article est top ! On en parle trop peu.. et pourtant comme tu dis c’est vraiment normal de ressentir tout ça..

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