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Gérer les projections des autres quand on tient un blog

J’ai lu dernièrement un article de Happy Chantilly qui abordait la question de la projection que ses lectrices peuvent parfois faire sur elle, sur son blog, sur ce qu’elle publie sur les réseaux sociaux. Happy Chantilly y aborde la question sous l’angle de l’écologie (puisqu’il s’agit d’un sujet qui lui tient particulièrement à coeur, et sur lequel elle écrit énormément), mais je me faisais la réflexion que nous pourrions toutes, blogueuses que nous sommes, publier un article sur le sujet.

Blogueuses mode, beauté, écolo, maternité, mariage, lifestyle, même combat: nous publions ce que nous voulons bien que les autres voient de nous. Nous publions souvent le meilleur, le beau, l’inédit et le drôle. Parfois le coup de gueule ou la mauvaise nouvelle du moment -et encore, tout est affaire de pudeur personnelle.

Et je crois bien que la façon dont les autres se projettent est, de très loin me concernant, la question la plus délicate.

Parce que les projections peuvent parfois être déroutantes, amusantes, insolites. Violentes, aussi.

Prenez mon cas (puisqu’après tout, nous sommes sur mon blog – on est jamais autant aidé que par soi-même): j’ai un blog raisonnablement lu, sans être pour autant une influenceuse (à moins de considérer le deuil périnatal comme un sujet d’influence – auquel cas, OK, je concède avoir un petit peu d’autorité en la matière sur l’internet français). J’ai bien eu un superbe mariage, très lu, très commenté, sur Mademoiselle Dentelle. Mais j’ai aussi, depuis, accouché de deux bébés morts nés.

Vous pourriez penser (moi la première) que je devrais être épargnée par ces soucis de projection, par ces attentes démesurées que certaines lectrices pourraient avoir sur moi. Qui voudrait espionner, décortiquer, ou encore critiquer les écrits d’une maman endeuillée?

Et pourtant, je ne sais pas très bien comment les choses fonctionnent mais force est d’avouer que j’ai aussi ma part de « t’as écrit ça la, tu parlais de moi? », de « moi à ta place », de « pourquoi tu ne ferais pas ça comme ça? », ou encore de « je t’admire tellement », « tu es tellement courageuse ». En 7 ans de blog, j’ai entendu un peu tout (et souvent n’importe quoi) à mon sujet: que j’étais forte, trop sensible, vraiment discrète, prétentieuse, d’une aide précieuse, pas assez présente, hypersincère, complètement manipulatrice.

Nous ne sommes pas dans un mauvais épisode de Dexter: je ne souffre pas d’un dédoublement de personnalité carabiné, ni d’un syndrome de sociopathie extrême.  La vérité, elle est beaucoup plus simple, et vous l’aurez déjà devinée sans peine: je suis un mélange de tout ça, je suis – comme tout le monde – une personnalité complexe, nuancée. Oui, je suis capable de déclarer être au régime tout en engloutissant un burger avec supplément bacon sans sourciller, et oui, je planque aussi le ticket de caisse au fond de mon sac quand je rentre d’une virée chez Comptoir des Cotonniers (« vraiment Jean-Mi, une affaire pareil, tu n’y croirais pas ») (tu m’étonnes, John) mais globalement, la capacité à mentir et manipuler les foules s’arrête ici me concernant.

A force d’être victime de projections, j’ai cependant appris quelques leçons, au cours de ces 7 dernières années, je les partage avec vous (désolée pour l’intro, elle était abominablement longue, on va faire plus court).

 

Les gens projettent ce qu’ils veulent bien voir

Je pense que 99% des personnes qui me lisent se disent, quand je dis avoir été interviewée par Yann Arthus Bertrand l’année dernière, que c’est un bel hommage à mes filles décédées/ une super expérience/ la possibilité de sensibiliser sur le deuil périnatal auprès d’un public beaucoup plus large que mon lectorat d’origine.

Il y’a aussi nécessairement un petit pourcentage restant, qui doit se dire que « j’ai trop de la chance », ou que je me la pète, ou allez savoir quoi d’autre.  J’ai bien évidemment été interviewée pour parler de mes accouchements, de ma tristesse, pour rendre hommage à mes filles aussi. Il y’a des gens qui ne voudront, ou ne pourront pas comprendre ça. Parce que je crois bien qu’il existe des personnes qui ne voient que ce qu’elles veulent bien voir, et qu’importe le fait que je parle à longueur de journée de deuil périnatal. Et c’est valable pour absolument tout le monde. Une amie Facebook, en route pour l’hôpital, se plaignait l’autre jour de mystérieuses douleurs abominables sur son profil perso en demandant de l’aide, ça n’a pas empêché un de ses contacts de venir répandre son fiel dans les commentaires – qu’importe que son amie se torde de douleur dans une ambulance.

Les rageurs rageront, trieront, filtreront l’information pour n’en conserver que ce qui les arrange bien – de quoi nourrir leur amertume. Je pense que, quand on écrit sur internet, il faut toujours en avoir une conscience aiguë, sous peine de se remettre en question tous les 4 matins à cause d’un mauvais commentaire.

Je ne suis pas un paillasson

Nous en arrivons au point suivant: je ne suis pas un paillasson. Mon blog n’est pas un paillasson, ma page Facebook n’est pas un paillasson, mon profil privé encore moins. Sur ce blog, sur mes profils, mes visiteurs sont un peu chez eux, mais surtout chez moi. Donc non, on entre pas pour reluquer tous les placards, critiquer à voix haute et faire caca sur la moquette. Je l’ai toujours dit, et je le réaffirmerai autant de fois que nécessaire: tout est modéré chez moi, tout simplement parce que 1) on est pas chez mamie (mais qui traiterait sa mamie comme ça?) et 2) j’ai un public de parents endeuillés à protéger. Je pense que, quand on vient de perdre son bébé, la dernière chose dont on a besoin c’est de se taper des trolls et des commentaires déplacés dans les commentaires. Oui, même sur un article de 2014 qui vante les mérites de la vie à Paris (on peut dire qu’il s’agit, de loin, de l’article qui attire le plus de hargne sur mon petit blog) (mais pourquoi tant de haine?).

La vie n’est pas une compétition

La projection – de loin – la plus déroutante à laquelle j’ai pu avoir affaire, ce sont les: « tu sais, moi aussi j’ai vécu des trucs pas drôles ». Celle-là, c’est de loin, de très loin, la remarque que je comprends le moins, et la projection qui me semble la plus incompréhensible. La vie n’est pas une compétition. Si à la limite les gens veulent faire des battles de photos de palmiers sur Facebook en été, grand bien leur fasse, c’est même plutôt cool et sympa (sauf quand tu es coincée au bureau un 14 aout). Mais oui, j’ai déjà rencontré (et je sais que je rencontrerai encore) des personnes qui essaieront de se « mesurer » à mes drames à moi. Comme s’il existait un étalon mesureur des trucs moches et pas drôles de la vie. AU SECOURS.

Alors je ne sais pas très bien ce qui se passe dans la tête des gens qui raisonnent ainsi, mais je me retrouve toujours terriblement mal à l’aise. Je sais aussi, encore une fois, que ce n’est pas mon histoire le problème, ni la façon dont je la vie. Je ne peux pas maitriser la façon dont l’autre envisage mes difficultés, et encore moins si c’est sous le prisme d’une sorte de compétition.

 

Je ne fais pas de miracle

Une autre forme de projection, qui est très déroutante également: il m’arrive parfois de rencontrer des personnes qui s’imaginent que je gère hyper bien mes deuils, comme si j’avais la réponse à leurs questions, la solution miracle pour aller mieux. Je suis démunie face à ça, parce que je ne suis ni gourou, ni guérisseuse. Je suis moi-même en permanence en train d’essayer de sortir la tête de l’eau – soyons honnêtes. J’essaie d’écrire ce que je ressens, de poser des mots sur mes deuils, et cela me fait toujours incroyablement plaisir quand des lectrices me disent que me lire les a beaucoup aidées. Malheureusement, à ma petite échelle à moi, je ne peux pas faire plus – et je renverrai toujours une personne que je sens en détresse vers une association, un psy, un forum, une lecture. Croyez bien que j’en suis la première désolée: si j’avais la solution miracle pour guérir du deuil, je vous la communiquerais, c’est promis.

 

Quoiqu’il en soit, le plus important, à mes yeux, c’est de comprendre et de garder en tête que vous n’êtes pas responsable des projections que les autres font sur vous. Vous n’aurez jamais le pouvoir de contrôler ce que les autres pensent de vous, ce qu’ils interprètent ou déduisent de vos posts privés sur Facebook, de votre dernier billet blog, de vos photos de vacances publiées sur Instagram. Vous n’êtes pas plus responsable de leur aigreur, de leurs jalousies, de leurs attentes. Nous sommes des adultes: si l’un de vos contacts a des problèmes à résoudre, eh bien rien de tel qu’un email rédigé avec honnêteté et calme ou (mieux) un vrai café de la vraie vie pour en discuter.

Je ne peux pas, en tant qu’être humain normalement constitué, relire 347 fois chaque article en essayant d’envisager si une personne quelque part en France ou à Ouagadougou risque de mal interpréter, ou mal comprendre. Je fais constamment attention à rester bienveillante, ouverte, agréable, à ne pas utiliser de termes choquants, ni à pointer les gens du doigt, tout simplement parce que je suis (à peu près) ainsi dans la vraie vie. Mais je ne peux pas faire plus.

Et vous, des expériences similaires à déplorer?

Cet article a 4 commentaires

  1. Manuela

    Tu as réagi à un post que j’ai publié sur mon compte Instagram…et je ne peux qu’acquiescer en lisant ton article.
    Les gens projettent sur nous des choses parfois flatteuses, parfois flippantes voire carrément désagréables.
    Ce qui est « vicieux » avec le développement de « l’internet », c’est qu’en supprimant des barrières, en créant une certaine proximité, en se montrant sympathique, accessible, bienveillant, certaines personnes pensent pouvoir franchir certaines limites.
    Je me suis toujours dit que c’était 50/50 en fait. Comme toi, je mets des précautions. Mais si, in fine les gens interprètent et projettent, je ne peux m’en sentir responsable. Et je l’écris, je le dis d’ailleurs. Et je me protège aussi en éloignant ces personnes (comme cette femme complètement à l’ouest, qui m’a saoulée pour un post sur les règles…qui sous couvert de bienveillance a été vraiment malveillante dans sa réponse). Après, je me demande aussi pourquoi certaines de ces personnes nous considèrent comme des médias ? Genre ils viennent nous consommer et partagent leurs trucs désagréables…

    1. Urbanie

      Oui, c’est drôle, j’étais en train de rédiger cet article quand tu as posté sur IG! Cela m’a pris plusieurs semaines d’ailleurs pour organiser mes pensées sur le sujet.

      Je pense qu’il y’a un mélange de plein de choses: la maladresse (tout le monde ne « sait » pas écrire sur internet – nous sommes des communicantes toutes les deux, c’est notre boulot de réfléchir à la meilleure façon de faire les messages, ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas capables de nous tromper, mais au moins, nous avons les « bases » d’une communication écrite à peu près efficace; tout le monde ne sait pas faire, d’où des commentaires parfois maladroits, mais pas méchants du tout); Il y’a aussi nécessairement les projections de celui ou celle qui te lit en se racontant des histoires à ton sujet. Et puis, comme tu le dis très bien, il y’a ces barrières que certains franchissent sans y penser, comme si tu n’étais pas une vraie personne derrière un écran, mais juste une « chose » sur laquelle on a tous les droits (j’ai vécu une expérience hyper désagréable récemment assez similaire, donc je sais à quel point cela peut remuer le bide).
      Perso, les règles sur ce blog sont et ont toujours été très claires – t’es pas gentil(le), tu prends la porte. Mais c’est aussi la raison qui fait que je ne souhaite pas spécialement faire grossir ce blog. Je ne sais pas pour toi, mais je trouve déjà que quelques commentaires pénibles ou agressifs sont toujours compliqués à gérer, mais alors s’il faut se farcir tous les haters de Twitter ou d’IG… quand je lis les commentaires laissés sous certains comptes influents, je me demande comment font leurs propriétaires pour ne devenir paranoiaque et fous.

  2. Devenir Adulte

    Je suis totalement d’accord avec toi.
    Tu ne peux pas connaitre l’image que tu renvoies et surtout chaque chose s’applique à chaque personne. On a chacun sa propre histoire, ses propres ressenties, sa perception ou encore ses propres sentiments face à une chose. Personne ne réagit de la même manière. On peut juste raconter son histoire et dire comment l’on réagit nous mais cela ne peut s’appliquer à tout le monde.

    A très vite

  3. Viviane

    J’ai profité de ce billet pour aller lire celui de 2014, sur la vie à Paris.
    Et dans mon RER bien blindé, j’ai rigolé toute seule devant ta phrase sur le métro :  » Entre les accidents de canalisation, les colis suspects, les problèmes de signalétiques (…) ». Est-ce un lapsus ? J’ai bien souvent des pannes de signalisation et des ruptures de caténaire, mais des accidents de canalisation, pas encore ^^
    J’espère pour toi que tu n’a jamais eu d’inondation dans le métro, mais c’est une jolie idée d’excuse inédite pour la RATP !

    PS : On est bien mieux en Ile de France que partout ailleurs, même avec le RER B !

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