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Deuil périnatal: le poids des mots

Je suis tombée hier sur un article, en apparence anodin: la chanteuse Lily Allen s’est fait insulter sur Twitter après avoir raconté le décès de son fils – dans des détails certes un peu « techniques ».

 

En dehors du fait que des internautes s’en soient pris à elle – haters gonna hate, comme on dit – ce qui m’a dérangée, c’est qu’à lire le titre de l’article, j’avais cette sensation que quelque part la fautive, c’était elle.

J’ai commenté l’article via les réseaux sociaux pour expliquer aux journalistes mon ressenti, donc je ne reviendrai pas la dessus.

 

En revanche, je vous avoue m’être souvent posé la question de ce que je « pouvais » dire – ou non – sur le décès de ma fille.

 

Grande question: jusqu’où aller?

 

Lily Allen le dit très justement: elle souffre de stress post-traumatique suite à ce qui lui est arrivé.Le drame subit lors du décès d’un bébé réside aussi dans la violence que le réel impose aux parents. Par « réel », j’entends tous ces détails médicaux et quelque part très techniques qui sont liés à ce décès, que les parents doivent vivre et subir. La paperasse, la prise en charge médicale, les décisions pratiques à prendre en urgence.

Dans l’imaginaire du commun des mortels – dont j’ai longtemps fait partie- le bébé décédé « disparait »: Abracadabra! Le parent est triste que son bébé ne soit plus là, ça, tout le monde le comprend.

Mais le traumatisme vécu et subi par le corps, les mots prononcés par le corps médical ou l’entourage, la réalité parfois cruellement crue de ce décès, ça c’est de l’ordre de l’indicible. Parce que personne ne l’envisage.

Une jeune maman racontera son accouchement, parfois avec force détails qui feront sourire -ou grincer des dents- ceux qui l’écoutent.

Une jeune accouchée dont le bébé est décédé n’a pas le droit à cet espace de parole. Raconter un accouchement qui ne se termine pas avec un bébé joufflu et affamé dans les bras? Impensable. Alors raconter les détails techniques de son accouchement? Même pas en rêve.

Parce que, comme je vous le disais, pour les parents endeuillés l’accouchement fait partie de cet indicible, de ce dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom (oui, j’ai beaucoup lu Harry Potter).

J’ai vécu un de ces moments un peu humiliants, mais surtout parfaitement absurdes où, assise à déjeuner à côté d’une autre jeune maman,j’ai assisté impuissante à un jeu de questions/réponses autour de son accouchement. Comment il s’était passé, la péridurale, la rééducation du périnée.Moi, je rentrais aussi de congé mat, oui. Mais comme vous le devinez, mon congé mat à moi ne s’était pas très bien terminé…

Et donc je me retrouve là, assise à entendre une jeune accouchée (comme moi) raconter son ressenti sur son accouchement récent. Et je ne suis pas complètement idiote: je sens bien que si je prends la parole pour rebondir sur ce qu’elle dit, je vais au mieux laisser un blanc parfaitement gênant, au pire passer pour l’hystérique de service. Donc je mange ma purée tiède et je me tais. Et j’attends que la conversation passe à autre chose.

Je ne pense pas que cela soit de la malveillance: seulement, pour les autres, cet accouchement – mon accouchement – n’a tout simplement jamais existé.

Les proches ne peuvent imaginer que l’impensable puisse aussi avoir une réalité pragmatique, envisagée comme cruelle.Une autre fois encore, une copine m’avait demandé si  « je m’étais bien remise de l »opération ». Je vous laisse imaginer son étonnement quand j’ai du lui expliquer que je n’avais pas été opérée…

 

 

Vous imaginez bien que, si le simple fait de ne pas pouvoir dire qu’on a accouché pèse sur les jeunes mères endeuillés, de là à parler du concret et des détails techniques… impensable.

Pourtant, parfois l’accouchement se passe techniquement mal. J’ai personnellement eu un accouchement « de rêve » compte tenu des circonstances, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Que faire alors de cette blessure supplémentaire qui vient se greffer à la douleur déjà immense d’avoir perdu son bébé?

On ne peut pas parler de son bébé décédé, on ne peut parler de son accouchement, on ne peut pas dire les séquelles et les souffrances physiques que ce dernier a parfois laissé derrière lui… et on s’enferme dans une forme de stress post-traumatique, le même qui a conduit Lily Allen à prendre la parole, certes de façon sans doute maladroite. Parce que fatalement, arrive un moment où la parole doit sortir, et puisqu’elle n’a pu être accueillir avec bienveillance et empathie, elle déborde et explose.

 

Pour revenir à Lily Allen, ce qui est déroutant, mais en même temps qui ne m’étonne pas vraiment, c’est la violence des réactions face à cette parole soudainement libérée. Certes, nous sommes sur internet, certes, les utilisateurs de Twitter ne sont pas connus pour leur pondération. Mais j’y vois surtout un rejet hostile, agressif, de la parole d’une maman endeuillée.

 

Personne n’a envie d’entendre qu’un accouchement ne se termine pas forcément bien. Et même moi, qui 2 ans et demi après bénéficie d’un peu plus de recul, eh bien même moi je me heurte à cette question, encore et encore: comment puis-je en parler? Est-ce que je peux seulement mentionner ma première fille sans passer pour une hystérique, au détour d’une conversation?

 

Je pensais que le temps m’apporterait des réponses, mais je dois bien vous avouer que ce n’est pas du tout le cas. La plupart du temps, lorsque l’occasion se présente de parler de ma maternité, je ne sais tout simplement pas quoi dire.

La solution de facilité pour ne rien risquer reste encore à se taire – ce que je fais. Mais je ne dis pas qu’il s’agit là d’une bonne solution. Et pour avoir rencontré nombre de mamans endeuillées qui souffraient de ne pouvoir parler, je peux vous dire que l’effet cocotte-minute dont je vous parlais plus tôt existe bel et bien. Le jour où ça craque, la parole se répand sans filtres et choque, inévitablement.

Vous l’aurez compris, je milite pour qu’on accueille un peu plus la parole des parents endeuillés, au lieu de faire comme si rien ne s’était passé, mais c’est se heurter à un tabou sans fond… nous n’avons même pas de nom pour nous désigner, alors comment pouvons-nous seulement en parler?

 

Le langage a un sens, et le simple fait de ne pas avoir de mot pour nommer les parents endeuillés en dit long sur la place que nous occupons: une population silencieuse parce que condamnée au silence.

 

Et vous, un avis sur la question? 🙂

 

Cet article a 11 commentaires

  1. Delphine

    Je me tais aussi. J’aimerais que cela ne soit pas tabou, j’en ai parlé sur mon blog, j’avais l’impression qu’on en parle de plus en plus, mais quand je vois les réactions face à lilly allen, je m’interroge…

  2. Marie

    On aurait souhaité que Lilou n’ai pas eu besoin de partager publiquement son traumatisme,qu’ elle ait pu trouver une écoute humaine pour pouvoir poursuivre son chemin de vie plus paisiblement. Quel dommage…Heureusement que les langues semblent se délier et les esprits s’ouvrir,petit à petit des mamans sortent de l’ombre,comme cela aurait toujours dû être. L’ignorance des gens est un fardeau. J’espère que vous même arrivez à poursuivre votre chemin pour toutes les mamans qui sont resté silencieuses…comme la mienne.

  3. Marine

    Tu as certainement raison. Je pense aussi que les gens n’osent pas aborder les évènements douloureux que vous avez traversés car ils ont peur que ce ne soit pas le bon moment pour vous, ils ont peur de vous confronter aux pires instants de votre vie alors que peut-être, vous n’y pensiez plus, là, maintenant. Il y a surement des gens qui n’ont pas envie d’entendre le malheur indicible des autres. Mais dans mon cas notamment, ce serait plutôt la peur de vous ramener à votre triste souvenir, à une cruelle réalité. Maintenant, je ne serais personnellement pas mal à l’aise qu’une femme me parle spontanément de son accouchement même si elle n’a pas ramené son bébé joufflu à la maison…

  4. Marie

    C’est exactement ça, tabou, on reste silencieux, on ose à peine parler de sa grossesse (pourrie en plus de mal se terminer en ce qui me concerne), encore moins de son (ses) enfants.
    A mon retour au boulot, on m’a même demandé comment allait mon bébé (explications -> silence gêné), on m’a très peu demandé comment ça allait, comment s’appelait ces 2 êtres que nous avions perdu.
    C’est difficile de ne pas pouvoir parler du diabète de grossesse, de cette grossesse gémellaire dont un des bébés n’était de toute façons pas viable, de l’infection et des douleurs de l’accouchement dû à cette infection qu’on sent malgré la péridurale, de la douleur de mettre au monde 2 enfants qui ne vivront pas,….
    Mais je pense que pour les pères aussi c’est compliqué, mon mari n’avait pas trop parlé de ma grossesse (qui était compliquée et donc risquée), et je pense qu’il a encore moins parlé de notre deuil, et même si ça semble moins nécessaire pour lui, je pense que ça aurait pu le soulager d’en parler.
    Bref je me retrouve dans ton article et je suis d’accord avec toi, il faut que ce tabou soit levé, que nous, les paranges comme on nous appelle parfois, puissions parler sans gêner et sans gêne
    Je ne sais pas encore comment nous en parlerons à notre fille (pour elle, il y avait un bébé, qui est parti)

  5. Flo

    Je partage le point de vue de Marine. Le sujet de la mort est délicat. Celui d’un bébé encore plus car pas dans la logique de la vie. Je pense aussi que si les gens extérieures a la situation n’en parlent pas c’est parce que ils ne veulent pas peiner leur interlocuteur, cela ne veut pas forcement dire qu’ils sont pas prêts à écouter. L’inconnu fait peur. Cela peut expliquer les réactions reçues par Lilly Allen même si celle ne les cautionne absolument pas. Plus le sujet du deuil perinatal sera abordé moins il sera tabou, c’est un cercle vertueux.

  6. Laurence

    J’ai vécu ce drame de perdre ma fille a une semaine du terme de la grossesse il y a un an et quatre mois. Pour ma part je ne m’interdis jamais de parler de ma fille ou des circonstances de sa naissance. Nous souffrons déjà assez de son décès et de sa perte pour ne pas s’en rajouter en en faisant un tabou. Je comprends que cela ne soit pas facile pour l’entourage mais ceux qui souffrent avant tout, c’est nous, les parents qui avons perdu notre enfant. Chacun dans ces circonstances fait de toutes façons ce qu’il peut pour faire face à cette horreur. Comme quelqu’un l’a écrit ci dessus c’est contre nature de perdre son enfant.

  7. Laura

    Bonjour Urbanie. J’aime beaucoup ton article comme d’habitude. En effet tu poses une très bonne question. Que dire, jusqu’où aller, très difficile comme question. J’ai vécu la mort accidentelle de plusieurs enfants dans ma famille (des jeunes cousins que j’aimais beaucoup). Je ne sais jamais comment en parler et quand je le fais je suis toujours maladroite. Du coup il est plus simple pour moi de ne jamais en parler. Ni avec ma famille, ni avec mon mari, ni avec mes amis. Pourtant je pense à eux tous les jours. Je crois que dans notre société il n’y a pas beaucoup de place pour les douleurs qui ne guérissent pas.

  8. Lili

    C’est vrai qu’on a l’impression de ne pas pouvoir parler de ces grossesses qui se finissent mal et encore plus de l’accouchement d’un bébé décédé. dans mon cas j’ai l’impression que pour mon entourage cette grossesse inachevée n’a jamais eu lieu. aller hop c’était comme un répétition générale avant la vraie grossesse…Et c’est douloureux. Douloureux aussi ce silence mais comment en parler et expliquer? L’effet cocotte minute est bien présent…..

  9. Ludivine

    Bonjour,

    Je suis complètement d’accord avec toi. J’ai vécu il y a très peu de temps l’effet violent de la « cocotte minute » qui explose. Au delà de la perte et du manque de mon bébé, je me sens traumatisée par cette confrontation avec la mort. Des images et des détails atroces me restent en tête. Au point de ne plus pouvoir exercer mon métier d’infirmière. Je n’aime pas le tabou mais je me rend compte que je m’autocensure de peur de choquer les autres, de peur d’être blessée par une réaction de fuite… Honnêtement, depuis 11 mois, il n’y a qu’à ma psy que j’ai pu en parler. Et je pense qu’il est très important de faire « sortir » tous ces sentiments : par la parole, l’écrit, avec un professionnel etc
    Merci d’aborder ce sujet si intime. Plein de courage à toi pour surmonter les moments difficiles.

    Ludivine

  10. Marie

    Bonjour,
    Je me suis confrontée moi aussi au silence, au refus de l existence de mes 2 bebes. Ma 1ere grossesse est arrivée a terme sans souci mais l accouchement s est mal passe…. mon fils est decede…puis lors d une seconde grossesse gemellaire, une de mes filles est decedee egalement.
    Beaucoup de mes amies se sont eloignees petit a petit, ma famille ne m a plus telephonee pour me demander comment j allais mais juste pour des banalites…et encore…. Lorsque l on demandait combien j avais d enfants, j ai vite compris que si je repondais que j en avais 3, je derangeais…. alors on en a « efface » 2…. pour ne pas poser probleme….
    Heureusement, ma fille connait son histoire. Et nous lui en parlons sans tabou des qu elle le souhaite.
    Dans mon metier, je suis infirmiere et pourtant, le sujet derange… je n ai le droit que d etre quelqu un de « classique », pas de souffrir, pas d avoir une histoire.
    Je dois en permanence retirer ma sensibilite.

  11. cyrielle

    Bonjour

    et merci.
    Sincèrement Merci.
    Trop peu de gens parlent du deuil périnatal et pourtant visiblement il touche de très nombreuses famille dont moi depuis le 21 Août 2017.
    MFIU pour le moment non expliquée (ce sera surement le cas meme avec les résultats mais c’est un autre sujet).
    J’essaye d’en parler et si cela dérange quelqu’un tant pis.
    Pendant 8 mois j’ai porté la vie, j’ai parlé a mon bébé, je l’ai senti, elle m’a répondu et j’ai accouché.
    Combien oublie ce « léger » détail.
    3 accouchements mais seulement 2 enfants…
    Pourquoi nous n’aurions pas le droit de parler de cet enfant tant désiré?
    Ne pas l’évoquer c’est faire comme si il n’avait jamais existé et pourtant notre fille est reconnue par l’état civil.
    La parole est nécessaire en ce qui me concerne et je comprends parfaitement ce que vous voulez dire ainsi que Lily.
    Déja que l’on souffre de la perte de notre bébé mais si en plus on se refuse le droit de communiquer dessus pour ne pas blesser les autres , ce n’est pas logique.
    on peut également souffrir physiquement, gérer la tristesse de ses autres enfants etc.
    Bref merci car vous avez tout dit je regrette simplement que si peu de gens osent prendre la parole sur ce theme.
    cyrielle

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